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Artificial Intelligence
USA / 2001
Sortie US le 29 juin 2001 / Sortie France le 24 octobre 2001

Fiche technique :
Production: Warner - DreamWorks - Amblin - Stanley Kubrick
Réalisation : Steven Spielberg
(E.T., Saving Private Ryan)
Scénario : Steven Spielberg
d'après la nouvelle de Brian Aldiss
Photo : Janusz Kaminski
Montage : Michael Kahn
Musique : John Williams
Effets spéciaux : ILM
Durée : 145 mn

CASTING :

Haley Joel Osment (David) - Jude Law (Joe) - William Hurt (Pr Hobby) - Frances O'Connor (Monica) - Jack Angel (voix)

LA MER. LA MERE. L'AMER.

Il y a tellement de choses à écrire sur ce film. Il laisse une impression étrange, marquante. On ne peut pas dire qu'il soit parfait ; on préferera toujours certaines parties à d'autres. Etonnament, il soulève peu d'émotions, mais en revanche, il se base sur un scénario fertile en réflexions. A.I. est une oeuvre cérébrale, jusque dans la direction artistique. C'est avant tout une oeuvre collective, celle de deux grands cinéastes, Kubrick et Spielberg.
Car Kubrick est omniprésent : les thèmes, les références, la noirceur du sujet, la marginalité et l'animalité de l'Homme en tant qu'espèce... Spielberg pousse le vice plus loin en signant un film artistiquement kubrickien. L'âme du Maître est inscrite dans le celluloïd.
Ca n'empêche pas Spielberg d'y mettre sa patte : en faisant d'un enfant "différent", son personnage principal, en lui donnant un guide "spirituel", en ponctuant son scirpt d'auto-références (la grande roue de 1941, la lune de E.T., ...).
Au final vous allez voir un conte de fée métaphysique où Pinocchio croise Spinoza.

3 chapitres.
A.I. est une histoire qu'on lit comme un conte de fée. Le film débute par une sorte d'Il était une fois... L'océan rugit. Une voix off décrit la situation de la planète dans quelques années. Spielberg installe les bases avec un principe qu'il a déjà utilisé dans Jurassic Park II : le monologue d'un professeur. Il raconte.
La première partie est en fait la vie de David, enfant-robot capable d'aimer, au sein d'une famille "réelle". Cette enfance permet de confronter la morale à la science, les sentiments à leur substitution matérielle. Le garçon - merveilleux H.J. Osment - est alors lié à la très belle Frances O'Connor, qui incarne sa "mère". La confusion des sentiments, des émotions est palpable. De là, les aspects moraux sont vite remplacés par les conflits humains.
David est alors abandonné à lui même, à la recherche de soi. Si la première partie du film était artistiquement plus proche de Stanley, avec des objets anachroniques, une décoration flirtant avec les années 50 et 60, Steven commence à sortir du décor de studio, le cocon de la maison, pour dévoiler l'environnement sauvage et urbain. La chasse aux robots, la Foire à Chair (avec morceaux de hard rock), Rouge city... la violence comme le sexe sont explicites. cette hostilité n'est pas innocente. C'est aussi là que le scénariste Spielberg lui adjoint un guide initiatique, un robot Casanova, interprété par (le très beau) Jude Law, techniquement idéal. L'esthétique change, se colore plus vivement. Le son devient plus bruyant. Et l'enfant verse dans la mélancolie. Certaines scènes sont d'une beauté insoupçonnables, frôlant les tableaux surréalistes. Mais au milieu de cette fête foraine "virtuelle", les effets spéciaux semblent anodins, comme assimilés par notre regard. On passe de Burton à Gilliam, en faisant escale chez Ridley Scott. En revanche, la chûte dans l'océan du gamin est bien plus impressionnante.
C'est là que débute la fin. Ou presque. Car la glaciation et ce fondu au noir trompeur ne font qu'annoncer la troisième partie. Le robot changera d'air, d'ère, et n'errera plus...
Cet épilogue peut sembler long si on le prend comme une conclusion. Il n'est en fait que le maillon indispensable pour comprendre la portée philosophique du film, le message qui a intéressé les deux cinéastes. A.I. est construit comme Eyes Wide Shut : le contexte familial du héros, son itinéraire individuel à travers les méandres nocturnes de la société, la morale de l'histoire. Et reconnaissons-le : cet ultime chapitre vous envoie ailleurs. Vous basculez dans l'inconnu. Surtout, vous comprenez la fatalité, les limites du vivant et l'impossibilité à atteindre le bonheur. Le film devient zen, silencieux, comme s'il s'agissait d'un rêve. L'intelligence et l'esprit dominent. Cette rencontre du troisième type inattendue expose nos peurs à notre finalité et nos croyances. La théorie de l'évolution se rapproche plus de Houellebecq que de Darwin. Avec un zest (artistique) de Giacommetti. Mais nous ne vous révélerons rien...

Comme shooté à l'éther
Le film est peu divertissant, et pourtant on ne s'y ennuie jamais. L'ours Teddy, sur lequel tout le monde craquera, permet justement d'apporter une dérision et une sagesse dans cette Odyssée infinie et amère. Outre que le film nous traite en spectateurs intelligents, on sera gré à Spielberg d'avoir rendu un si bel hommage à Kubrick. Toujours est-il qu'on comprend très bien pourquoi A.I. intéressait Kubrick ET Spielberg. Le premier y a vu une sorte d'hymne prophétique à l'espèce quil le décevait tant. Kubrick voyait sans doute dans A.I. un requiem parfait pour son oeuvre, mélangeant l'espoir à travers un robot parfait et la noirceur d'une apocalypse inéluctable. Le second a enrobé ces abysses glaciales d'un conte de fée, de rêves, d'amour maternel. Il y a vu un éloge à la différence, et un message de tolérance, un discours écologique en plus d'un film pédagogique. Le sens venait de Kubrick quand Spielberg y mettait les formes, celles d'une histoire pour tous. Ca déstabilisera, ça en fera ronchonner certains. L'essentiel est ailleurs. Dans ces propos déshumanisants, dans cette artificialité devenue naturelle, on voit avec 2001, Blade Runner, Matrix et maintenant A.I. se dessiner un monde où nous n'aurons plus notre place. Toute résistance est futile. Rarement un film n'a été aussi lucide. Est-ce du pessimisme?

Vincy 

 (C) Ecran Noir 2001