LA MER. LA MERE. L'AMER.
Il y a tellement de choses à écrire sur ce film. Il laisse
une impression étrange, marquante. On ne peut pas dire qu'il soit
parfait ; on préferera toujours certaines parties à d'autres.
Etonnament, il soulève peu d'émotions, mais en revanche, il
se base sur un scénario fertile en réflexions. A.I. est une
oeuvre cérébrale, jusque dans la direction artistique. C'est
avant tout une oeuvre collective, celle de deux grands cinéastes,
Kubrick et Spielberg.
Car Kubrick est omniprésent : les thèmes, les
références, la noirceur du sujet, la marginalité et
l'animalité de l'Homme en tant qu'espèce... Spielberg pousse
le vice plus loin en signant un film artistiquement kubrickien. L'âme
du Maître est inscrite dans le celluloïd.
Ca n'empêche pas Spielberg d'y mettre sa patte : en faisant d'un
enfant "différent", son personnage principal, en lui donnant un
guide "spirituel", en ponctuant son scirpt d'auto-références
(la grande roue de 1941, la lune de E.T., ...).
Au final vous allez voir un conte de fée métaphysique
où Pinocchio croise Spinoza.
3 chapitres.
A.I. est une histoire qu'on lit comme un conte de fée. Le film
débute par une sorte d'Il était une fois... L'océan
rugit. Une voix off décrit la situation de la planète dans
quelques années. Spielberg installe les bases avec un principe qu'il
a déjà utilisé dans Jurassic Park II : le monologue
d'un professeur. Il raconte.
La première partie est en fait la vie de David, enfant-robot capable
d'aimer, au sein d'une famille "réelle". Cette enfance permet de
confronter la morale à la science, les sentiments à leur
substitution matérielle. Le garçon - merveilleux H.J. Osment
- est alors lié à la très belle Frances O'Connor, qui
incarne sa "mère". La confusion des sentiments, des émotions
est palpable. De là, les aspects moraux sont vite remplacés
par les conflits humains.
David est alors abandonné à lui même, à la
recherche de soi. Si la première partie du film était
artistiquement plus proche de Stanley, avec des objets anachroniques, une
décoration flirtant avec les années 50 et 60, Steven commence
à sortir du décor de studio, le cocon de la maison, pour
dévoiler l'environnement sauvage et urbain. La chasse aux robots, la
Foire à Chair (avec morceaux de hard rock), Rouge city... la
violence comme le sexe sont explicites. cette hostilité n'est pas
innocente. C'est aussi là que le scénariste Spielberg lui
adjoint un guide initiatique, un robot Casanova, interprété
par (le très beau) Jude Law, techniquement idéal.
L'esthétique change, se colore plus vivement. Le son devient plus
bruyant. Et l'enfant verse dans la mélancolie. Certaines
scènes sont d'une beauté insoupçonnables,
frôlant les tableaux surréalistes. Mais au milieu de cette
fête foraine "virtuelle", les effets spéciaux semblent
anodins, comme assimilés par notre regard. On passe de Burton
à Gilliam, en faisant escale chez Ridley Scott. En revanche, la
chûte dans l'océan du gamin est bien plus impressionnante.
C'est là que débute la fin. Ou presque. Car la glaciation et
ce fondu au noir trompeur ne font qu'annoncer la troisième partie.
Le robot changera d'air, d'ère, et n'errera plus...
Cet épilogue peut sembler long si on le prend comme une conclusion.
Il n'est en fait que le maillon indispensable pour comprendre la
portée philosophique du film, le message qui a
intéressé les deux cinéastes. A.I. est construit comme
Eyes Wide Shut : le contexte familial du héros, son
itinéraire individuel à travers les méandres nocturnes
de la société, la morale de l'histoire. Et reconnaissons-le :
cet ultime chapitre vous envoie ailleurs. Vous basculez dans l'inconnu.
Surtout, vous comprenez la fatalité, les limites du vivant et
l'impossibilité à atteindre le bonheur. Le film devient zen,
silencieux, comme s'il s'agissait d'un rêve. L'intelligence et
l'esprit dominent. Cette rencontre du troisième type inattendue
expose nos peurs à notre finalité et nos croyances. La
théorie de l'évolution se rapproche plus de Houellebecq que
de Darwin. Avec un zest (artistique) de Giacommetti. Mais nous ne vous
révélerons rien...
Comme shooté à l'éther
Le film est peu divertissant, et pourtant on ne s'y ennuie jamais. L'ours
Teddy, sur lequel tout le monde craquera, permet justement d'apporter une
dérision et une sagesse dans cette Odyssée infinie et
amère. Outre que le film nous traite en spectateurs intelligents, on
sera gré à Spielberg d'avoir rendu un si bel hommage à
Kubrick. Toujours est-il qu'on comprend très bien pourquoi A.I.
intéressait Kubrick ET Spielberg. Le premier y a vu une sorte
d'hymne prophétique à l'espèce quil le décevait
tant. Kubrick voyait sans doute dans A.I. un requiem parfait pour son
oeuvre, mélangeant l'espoir à travers un robot parfait et la
noirceur d'une apocalypse inéluctable. Le second a enrobé ces
abysses glaciales d'un conte de fée, de rêves, d'amour
maternel. Il y a vu un éloge à la différence, et un
message de tolérance, un discours écologique en plus d'un
film pédagogique. Le sens venait de Kubrick quand Spielberg y
mettait les formes, celles d'une histoire pour tous. Ca
déstabilisera, ça en fera ronchonner certains. L'essentiel
est ailleurs. Dans ces propos déshumanisants, dans cette
artificialité devenue naturelle, on voit avec 2001, Blade Runner,
Matrix et maintenant A.I. se dessiner un monde où nous n'aurons plus
notre place. Toute résistance est futile. Rarement un film n'a
été aussi lucide. Est-ce du pessimisme?
Vincy