virtualité/réalité
Tomb Raider
Final fantasy
La sortie imminente de Tomb Raider, l'adaptation très coûteuse d'un des plus grands succès de jeu vidéo de tous les temps, nous ramène à nous interroger sur cette membrane de plus en plus étroite qui sépare le monde des jeux vidéos et celui du septième art. La grande bouillie numérique va-t-elle engloutir les deux protagonistes dans un simili spectacle total(itaire), où se mêlent interactivité, images de synthèse et possibilités (au choix) grandissantes ou aliénantes ?

Même si chacun élève la voix pour exprimer son avis divinatoire, sa révolte nostalgique ou son engouement bêta, la réponse baigne dans un flou des plus opaques.
Pourtant, il est intéressant de se plonger dans l'avenir proche, c'est-à-dire les mois à venir, pour constater que si le cinéma est destiné à être "remplacé" par les jeux vidéo, pour le moment, ce même cinéma tire un malin plaisir à s'auto-alimenter avec des adaptations de ces mêmes jeux vidéo. Tomb Raider, Final Fantasy ou Resident Evil parlent pour moi.

Peut-être que ces vecteurs d'images peuvent évoluer tous deux à partir de la sacro-sainte racine numérique et cohabiter sans heurt ; après tout, l'arrivée de la photo n'a pas tué la peinture, tout comme le cinéma n'a pas tué le théâtre. Mais Hollywood, dans sa quête de profit, résonne pourtant naïvement en tentant de s'approprier l'univers des allumés de la manette. Car l'adaptation au cinéma d'un jeu vidéo est avant tout l'achat d'une franchise, et avec elle, les grâces d'un public acquis, ce qui, en théorie, est une garantie satisfaisante pour un producteur inquiet et une tache simplifiée pour le scénariste (la franchise supplante à elle seule la qualité de la narration).
Néanmoins, l'expérience démontre qu'adapter un jeu vidéo au cinéma parce que le jeu en question est un succès ne garantit pas le succès du film, d'autant plus quand on veut scénariser un jeu de baston. Les échecs cuisants de Mortal Kombat, Super Mario Bros, Double Dragon ou Street Fighter, tous aussi mauvais les uns que les autres, démontrent peu subtilement que "film d'action" ne rime pas nécessairement avec "jeu de baston".
Il y a une nécessité d'aller plus loin que la simple transposition paresseuse d'un écran à l'autre. Le cinéma a déjà rencontré ces problèmes lors de l'adaptation de comics papiers. Un art nouveau a forcément quelquechose à apporter aux autres disciplines voisines. Encore faut il s'attacher à créer de nouvelles grammaires visuelles et narratives pour cela, à vouloir faire évoluer les techniques de travail. Dans le cas actuel de la migration du jeu vidéo vers les salles obscures, il faudra réussir à palier le manque de profondeur (histoires accessoires et personnages embryonnaires) et la disparition de l'intéractivité.

C'est là où Tomb Raider - le film - prend un risque similaire, tout comme Resident Evil d'ailleurs, qui ne sont que des Shoot them up (en gros, le personnage se balade et tire à tout va) camouflés sous un emballage pompé dans les classiques Hollywoodiens. Tomb Raider emprunte l'univers d'Indiana Jones et Resident Evil celui du Retour des morts vivants et autres films du même genre. En résumé, le jeu vidéo puise son inspiration dans le cinéma ou la bande dessinée, lesquels exploitent à nouveau leurs propres thèmes par la suite en s'appropriant l'univers des jeux vidéos. Le serpent se mord la queue.
En décortiquant le phénomène, on découvre que c'est l'arrivée des consoles puissantes, et surtout de la 3D dans le jeu vidéo, qui livra sur un plateau d'argent cette clé magique qui permet au joueur d'explorer la quasi-totalité de ce qu'il voit à l'écran, et donc d'enrichir infiniment le jeu et ses possibilités quasi-cinématographiques.
C'est à partir de cette innovation que naquirent des jeux comme Tomb Raider, pour lequel la 3D trouvait également une utilité "plastique" au personnage de Lara Croft , utilité qui n'est pas étrangère au succès du jeu.
Outre l'aspect technique, les concepteurs de jeu ont souligné au fil des mois l'importance primordiale d'une ambiance, d'atmosphères liées au thème du jeu et aux moments forts de celui-ci. Pour certains jeux effrayants, comme l'excellent Silent Hill, ou encore Resident Evil dont l'adaptation ciné sort en salle en début d'année prochaine, la peur naît de la disposition et des mouvements de la "caméra", de la musique, du suspense, et de la surprise, bref, tous les éléments de la recette d'un film d'angoisse. Et comme le personnage qu'incarne le joueur transi est armé la plupart du temps, il explose les vilains zombies ou autres bestioles agressives dans un éclat de tripes sanguinolentes, ce qui captive notamment les amateurs de films d'horreur.
Dans cette perspective, le joueur et le spectateur ne font plus qu'un et deviennent finalement réalisateur. La preuve, même les partenaires inactifs du joueur constituent un public haletant et tremblant face à l'action que subit leur petit camarade, en oubliant presque de souhaiter reprendre la manette.
Le réalisme grandissant de l'image et de l'animation y est notamment pour beaucoup dans l'aspect authentique du jeu, et proche de la réalité telle qu'elle est filmée au cinéma.

C'est le parti pris de SquareSoft, les créateurs du jeu et de l'adaptation cinéma de Final Fantasy (qui sort le 15 août 2001), puisqu'il s'agit du premier film ultra réaliste en images de synthèse, recréant de manière hallucinante les textures de peau, la fluidité des déplacements et l'intensité des émotions de "vrais" acteurs. Cette première tellement attendue prend le contre-pied de Tomb Raider ou Resident Evil (les films), puisque la firme SquareSoft reste fidèle au jeu vidéo dans l'image (bien qu'incroyablement poussée). Seule l'histoire ne ressemble (en rien) à la trame du jeu, dont le jeu est bien plus complexe qu'un shoot them up et l'univers de celui-ci crée spécifiquement pour lui. Sans respecter la trame narrative du jeu, les scénaristes du long-métrage ont littéralement forgé un avatar électronique de manga en développant un film de science-fiction futuriste plutôt emballant et réfléchi. Ce qui n'empêche pas les puristes du jeu de crier au scandale.
Mais le plus drôle, c'est que les voix "véritables" qui doublent les personnages virtuels ont été enregistrées par des comédiens de renom, et bien en chair, tels que (pour la version US) Alec Baldwin, Steve Buscemi ou James Woods.

Sans pouvoir tirer de conclusions hâtives sur l'avenir de cette fusion entre le jeu vidéo et le cinéma, une chose est néanmoins certaine, les années à venir nous promettent un beau fouillis expérimental en tout genre, de nombreux navets (reportez vous à la critique de Tomb Raider), et quelques hybrides du genre de Final Fantasy, seul souffle d’espoir de créativité. À prendre, ou à jeter.

- Romain

 (C) Ecran Noir 2001