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Ni luttes, ni soupirs
Queer are folks
La vie en rose?
Y a-t-il un cinéma gay?
Queer are folks
Edito triennal. La trilogie évolue avec son époque. Et constatons que l'époque a changé. D'un côté, le retour à l'ordre moral qui hurle à la vue d'un sein dénudé ou bat le pavé pour une chute de reins déshabillée. De l'autre, des sitcoms, des reality shows, et des comédies sur, avec, pour les homos.
Banalisés les pédés? Ce serait trop beau.
Le grand fossé
Certes, grâce à des cinéastes comme Ozon, Lifshitz, Chéreau ou Almodovar, le regard sur l'homosexuualité s'est normalisé, mettant en scène avec indifférence gays, lesbiennes, bisexuels ou trans. Pourtant, dans le même laps de temps, la caricature s'est accentuée dans le cinéma populaire (mais aussi la télévision). Il n'y a rien de glorieux à voir une Magloire s'afficher médiocrement sur les petits écrans. Rien ne vaut un trav pour faire rire gras les spectateurs qui refusent même de se poser des question sur leurs propres perversités. On ose encore à notre époque dramatiser le coming out : tantôt effet comique tantôt excès dramaturgique, on atteint parfois des sommets de mauvais goûts ou d'irréalisme.
Pourquoi féminiser à outrance ou même reprendre des clichés d'un autre temps? Où est l'homme marié bisexuel? Revoyez Cette femme-là où un flic (Eric Caravaca) a tout d'un hétéro et l'on découvre qu'il aimait un garçon... Moment de grâce. Aucune pathélogie, aucun jugement. La vie, seulement, et rien d'autre.
Où est le gris clair et le gris foncé?
Tout cela, je l'avais déjà évoqué dans mon précédent édito. Je suis au regret de me répéter. Etonnant que les magazines parlent de métrosexuels et qu'aucun film ne traite sérieusement du sujet. Il faut un film comme Grande Ecole (à la base une pièce de théâtre) pour entendre quelques propos intelligibles et sensibles sur la manière d'aborder l'amour et la sexualité aujourd'hui. Peu importe le corps pourvu qu'on ait l'ivresse.
Mais la France s'arc-boute sur une vision assez binaire, cartésienne. Elle n'aime pas le flou. Qui, ici, produirait un Jordan qui s'amuse avec le travestisme y compris dans ses polars et ses films pour enfants (respectivement The Thief man et In America)? Si un baiser lesbien s'intègre aussi bien dans un Scola que dans une production comme Starsky et Hutch, pourquoi les cinéastes semblent aussi mal à l'aise avec l'imagerie homosexuelle masculine?
La mauvaise éducation
Encore une fois, les séries américaines montrent davantage l'exemple. Que ce soit la comédie Will and Grace (un homo cohabite avec une solo), le drame existentialiste Six feet under (un homo et ses tourments dans un monde mixte), ou la communautariste Queer as folks (Sex in the city variation gay), la télévision américaine a brisé plus de barrières que la plupart des cinéastes français. De Blier à Arcady, les maladresses et propos réacs n'ont pas cessé depuis un an; d'un côté on reconverti un garçon qui semble délicat et sensible, donc soupçonné de pédérastie, en le foutant dans le lit d'une jolie femme; de l'autre, on nous jette un pauvre bougre en pature, le forçant à faire un coming out sur la tombe de son père. Voilà comment les gays sont vus par nos éminents cinéastes : après la moquerie, l'humiliation. A l'image de notre société, avide de perfidies voyeuristes.
Vive la différence! vraiment?
Pire, la télévision s'ingénue à prouver qu'un hétéro et un homo sont différents. Etre homo ça se précise, ça doit s'avouer. C'est aussi une manière de vivre, de s'habiller, de se comporter si l'on en croit les programmes ou projets faits pour la télévision. On débat , ici mais aussi aux Etats Unis et ailleurs, sur le mariage gay. Si l'on était logique, le débat n'existerait pas. L'incongruité c'est le Pacs. Constitutionnellement, la discrimination sexuelle est interdite; le mariage devrait donc pouvoir se faire à la mairie quelque soit la religion, la couleur de peau, la nationalité et donc la sexualité du partenaire. Là encore, le cinéma est absent du débat. Et la télévision française est carrément en retard (hormis la série Avocats et associés).
Décalage pas seulement horaire
Alors, certes, je plaidais pour une "banalisation", une intégration sans quotas, sans règles, libre de tous dogmes. Mais face à cette non évolution, cette domination du réac, cette caricature permanente, ne devrions-nous pas instituer un consultant spécial pour les auteurs un peu dépassés par leur société?
De Pédale dure à Jet Set 2, il faut croire que seule la comédie peut s'emparer, en France, de sujets comme l'adoption ou la paternité des gays. Faire bouger les mentalités ne semble pas un objectif pour la télévision. Mais le cinéma semble tout autant étranger à la réalité et aux problématiques des alter-hétéros. Combien de Pacs dans le cinoche frenchy? Combien d'hommes mariés devenus gays (voir le film italien Tableau de famille, du turc Ozpetek)? Et ça ne s'arrête pas là : en France, impossible de parler de la sesualité (Parlez-en à Didier Bourdon et Josiane Balasko) quand vous avez plus de 40 ans et que vous pratiquez l'échangisme ou la consommation de gigolos. Etre homo, ça ne peut pas se cacher (malgré l'homophobie dangereuse), en revanche il est vital de masquer ses fantasmes d'hétéros (ça ne plait pas à la ménagère de moins de 50 ans). Bizarre paradoxe.
Atmosphère pré-révolutionnaire
Censure et auto-censure, précaution à outrance et absence de risques, paresse artistique et diktat médiatique, quel scénariste, quel cinéaste osera transgresser tout cela?
En voyant le dernier Almodovar, La mauvaise éducation, on se dit, au moins, qu'ailleurs, en Europe, on peut faire un film noir avec une histoire abjecte de pédophilie, un personnage de femme fatale qui est à la naissance un homme, et un réalisateur qui n'hésite pas à filmer une relation amoureuse maculine et très sexuée. Le tout avec des allures de film populaire. Une vraie leçon de cinéma, mais aussi un vrai regard sur le monde et les gens d'aujourd'hui. Les gays et lesbiennes et trans et caetera (c'est pas une nouvelle sexualité hein le caetera) sont des Hommes comme les autres, une simple partie du peuple. That's all.
- Avril 2004
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