Rédaction: Romain
(C) Ecran Noir 96-01
  

Loup, y-es-tu ?

Enfin ! Des mois de patience pour goûter au délice suprême de se glisser dans un épais fauteuil de cinéma et attendre en frissonnant de plaisir que les lumières s'éteignent pour laisser place aux hurlements de la bête. Le rideau s'ouvre doucement, les chuchotements cessent et le spectacle commence..
Forcément, tout le monde attendait Christophe Gans au tournant. Une sortie sans cesse repoussée, le mythe inexpliqué de la bête du Gévaudan, une distribution alléchante, le maître de la chorégraphie de combats Philip Kwok : de quoi attiser la curiosité naturelle de tout à chacun, cinéphile ou non. Tout le monde se souvient aussi des débuts prometteurs de M. Gans avec Crying Freeman, qui, non sans quelques maladresses excusées (tourné en quatre semaines seulement), ne pouvait que susciter en nous l'envie de voir jusqu'où pouvaient nous mener les potentialités de ce metteur en scène. Fort heureusement, Christophe Gans a su exploiter ses références au cinéma de genre asiatique dans un cadre bien plus subtil que dans son premier long-métrage. Il nous revient aujourd'hui avec un film d'époque, donc en costume, avec, qui plus est, une interprétation unique de cette légende française bicentenaire qui effraie encore les enfants à qui on la raconte avant qu'ils ne rejoignent le pays des songes.

La première scène nous plonge immédiatement au coeur de l'action : c'est un régal de majesté, de maîtrise et de justesse. Sans doute aussi énervante pour certains par sa construction peu réaliste et abusant des ralentis, cette scène de combat va d'emblée conquérir les fans pour les mêmes raisons. Bien sûr très inspirées de la dynamique gestuelle (accentuée par un travail remarquable pour le son et le montage) des films d'actions asiatiques (entre autres ceux de John Woo et Chang Cheh), les scènes de ce type portent la moitié du film par leur efficacité visuelle (et commerciale..). La maîtrise graphique de Christophe Gans est indéniable, et les influences de la Bande dessinée et des jeux vidéos sont utilisées avec intelligence, sans jamais tomber dans le clin d'oeil appuyé, voire même parodique.

Il en résulte un méli-mélo jouissif de scènes de genres qu'on croyait enterrés, par ici un zeste de western, par là un combat digne d'un classique de cape et d'épées, ou encore les allusions sanglantes aux maîtres de l'horreur baroque. Autant d'hommages qui enrichissent le film d'une portée chevaleresque et romanesque enthousiasmante.
Gans, en Dr Frankenstein de la pellicule sensible, vient de ramener à la vie le film d'Aventure avec un grand "A", dans un tonnerre de bruit et de fureur qui va scotcher le spectateur intrépide au velours de son siège.
Les mauvaises langues jugeront sans doute le scénario faible, les personnages manquant de reliefs ou encore une explication du mythe tirée par les cheveux. Sans avoir complètement tort, les détracteurs du Pacte seront forcés de reconnaître qu'il y a belle lurette que le cinéma français ne s'est pas aussi magnifiquement assimilé à sa fonction première : le Spectacle. Loin du complexe typiquement frenchy qui pousse certains cinéastes à copier (du moins à tenter de copier) nos amis Américains, Le Pacte des Loups prouve que l'on peut, nous aussi, s'essayer au film d'action à gros budget sans tomber dans le ridicule, et accoucher d'un long-métrage profondément ancré dans l'histoire de notre pays.
Voici comment transformer un film de commande risqué en une fresque étonnante, à la frontière entre le rêve et le cauchemar, somptueuse envolée lyrique, sanglante et poétique.

C'est décidément avec enthousiasme qu'il faut aller applaudir et ré-applaudir Le Pacte des Loups en salle.