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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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UIP
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Production : DreamWorks, Universal Pictures, Amblin Entertainment, Kennedy / Marshall, Barry Mendel, Alliance Atlantis Distribution : UIP Réalisation : Steven Spielberg Scénario : Tony Kushner, Eric Roth, d'après le livre de George Jonas Montage : Michael Kahn Photo : Janusz Kaminski Décors : Rick Carter Son : Ben Burtt Musique : John Williams Effets spéciaux : ILM Durée : 155 mn
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Munich
USA / 2005
25.01.06
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Les faits
1972, les Jeux olympiques d'Eté se déroulent pour la première fois en Allemagne, depuis les J.O."hitlériens" de 1936 à Berlin. La ville hôte, Munich, n'est pas un choix innocent (elle a gagné contre Montréal, Detroit et Madrid). La capitale de la Bavière, troisième métropole du pays, catholique et siège mondial de BMW et Siemens, a de douloureux souvenirs historiques : premier putsch de la part des Nazis et d'Hitler (en 1923), accords entre la France, l'Angleterre, l'Italie et l'Allemagne nazie qui contraignent la Pologne et la Tchécoslovaquie de céder certains de leurs territoires à Hitler (en 1938), attentat contre Hitler (en 1939). Munich est souvent citée comme berceau du nazisme.
La prise d'otages qui a lieu durant les J.O. se transformera en massacre. Le 5 septembre 1972, durant plus de 21 heures, le premier attentant terroriste est retransmis en direct par les télévisions mondiales (présentes pour couvrir l'événement sportif). Le bain de sang coûtera la vie à 11 Israëliens, 5 terroristes, 1 policier Allemand. Le groupuscule terroriste (issu de Septembre noir, affilié au Fatah palestinien) souhaitait la libération de 234 otages palestiniens et leur passage en Egypte, ainsi que celle de deux prisonniers en Allemagne. Golda Meir, Premier Ministre d'Israël, refusa toute négociation. Willy Brandt, Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne, rejeta l'offre israëlienne de faire intervenir une unité spéciale israëlienne, alors que la police allemande incompétente pour ce genre d'action. Ajoutons à cela la culpabilité allemande sur le Shoah, les commentaires erronés de journalistes sportifs peu habitués à ce genre de problèmes géopolitiques et une tension exacerbée au Proche Orient - nous sommes un an avant la Guerre du Kippour, Israël vient de subir un attentat dévastateur à l'aéroport de Lod (27 morts, 85 blessés), le Liban est sans cesse bombardé... Le contexte est pour le moins explosif. D'un côté Golda Meir obtint des condamnations publiques de la part de ses collègues (y compris le modéré Roi Hussein de Jordanie). De l'autre, les preneurs d'otages furent enterrés avec les honneurs en Libye. De même : le 8 septembre, 48 heures après le dénouement tragique des faits, Israël bombarda des bases de l'OLP (organisation pour la libération de la Palestine) au sud Liban et en Syrie, en guise de représailles : 200 morts. Tandis que le 29 octobre, les trois terroristes vivants furent libérés par l'Allemagne (un avion de la Lufthansa avait été détourné), empêchant leur jugement.
Israël répliqua aussi en créant l'opération "Colère de Dieu", soit l'exécution de 13 hommes (dont au moins une bavure). La mission initiale était de décapiter Septembre Noir en tuant 11 de ses hommes, autant que d'otages israëliens morts dans le carnage munichois. La méthode, les membres de ce groupe, les cibles restent secrets et non confirmés par les services officiels d'Israël.
Les sources
Après un premier téléfilm, 21 Hours at Munich, en 1976, avec William Holden, d'après un livre de Serge Groussard, puis un autre, dix ans plus tard, Sword of Gideon, avec Michael York, d'après le roman de George Jonas, il n'y avait eu aucune fiction sur le sujet. Spielberg lui-même avait décalé le projet suite aux événements du 11 septembre 2001. L'idée, pourtant, le tenaillait depuis qu'il avait vu le documentaire One day in September de Kevin Macdonald (le réalisateur du très réaliste La mort suspendue / Touching the void). Le film, raconté par une voix off (Michael Douglas), avait remporté l'Oscar du meilleur documentaire début 2000. "Je sais encore à quel endroit exact de la maison je me trouvais, et je me souviens de l'émission sportive que je regardais lorsque le drame fut annoncé. Il me laissa une impression inoubliable, qui gagna encore en intensité lorsque je vis, des années plus tard, le documentaire One day in september" confie Steven Spielberg.
Après avoir étudié plusieurs sources, l'équipe du cinéaste sont convaincus que le matériau le plus fiable, le plus proche du sujet à traiter, le plus réaliste est bien le livre du Canadien Jonas, Vengeance (publié en 1984). De là le script est passé de mains en mains jusqu'à celui d'Eric Roth (Forrest Gump, L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux, Révélations, Ali) soit choisit. Convaincu, Spielberg le file à Tony Kushner pour le modifier et lui donner une substance. Kushner est l'auteur d'Angels in America, spectacle fleuve acclamé et mis en image par Mike Nichols, qui confrontait l'homosexualité à des enjeux sociaux, politiques, raciaux, religieux. "J'ai vu qu'ils envisageaient un scénario détaillé, touffu, complexe, qui porterait moins sur le massacre lui-même que sur ses suites, et plus largement, sur la politique des assassinats ciblés" se rappelle le co-scénariste. C'est en lisant cette version aboutie que Spielberg décide de faire le film. Cependant, une fois de plus, le projet est retardé. Tom Cruise a toutes les peines du monde avec son Mission : Impossible III, qui voit successivement son réalisateur puis certains membres du casting s'en aller du projet. Décalé d'un an, il veut profiter de ce vide pour mettre en oeuvre et avancer un projet cher à son coeur, La Guerre des mondes, obligeant Spielberg d'intervertir l'ordre de ses projets. Lorsque le remake du film de Byron Haskin sort en salles, et pendant que Cruise s'amuse de ses frasques exhibitionnistes sur sa vie privée (au point de devenir la star la plus irritante selon le public), le réalisateur était déjà dans Munich. Il a savouré à distance le triomphe de son film à grand spectacle (600 millions de $ dans le monde, 4ème meilleure recette de l'année, son plus gros succès depuis Jurassic Park). Dans le même temps il vendait (et donc négociait) DreamWorks à Paramount et signait un deal avec Electronic Arts.
Les hommes
L'exploit est possible parce que depuis les années 80, le cinéaste travaille constamment avec les mêmes techniciens, sauf exception. Kaminski à la photo (2 Oscars grâce aux films de Spielberg), Rick Carter aux décors (qui a aussi beaucoup collaboré avec Robert Zemeckis), Michael Kahn au montage (là encore 2 Oscars "spielbergiens"), Joanna Johnston aux costumes (qui débuta ) ce poste sur Qui veut la peau de Roger Rabbit) et John Williams pour la musique (fidèle depuis Sugarland, un record de 43 nominations aux Oscars).
La difficulté de Munich résidait ailleurs. Le film "contient plus de rôles parlants que tous mes films précédents" explique le réalisateur. "Cette abondance, dans le cadre d'une histoire se déroulant à plusieurs niveaux, dans divers pays et sur plusieurs années, m'obligeait à rendre le moindre de ces personnages aussi intéressant que les cinq protagonistes du drame." Au total, 25 nationalités différentes dans le casting. Et quatre lieux principaux pour les tournages : de manière secondaire Paris et New York, mais l'essentiel fut réalisé, à la fois pour des raisons pratiques et financières, en Hongrie et à Malte. Au centre de cet immense puzzle, l'australien Eric Bana. "J'avais détecté en lui une chaleur, une force et un soupçon d'angoisse dans le regard qui le rendait à mes yeux très humain. Décidé à humaniser le personnage d'Avner, j'ai d'emblée choisi Eric pour ce rôle" justifie Spielberg. Entre temps Troy sort et Bana vole la vedette à Bloom et même Pitt. On lui adjoint le britannique Daniel Craig avant qu'il ne devienne James Bond, le nord-irlandais Ciaran Hinds (Les sentiers de Perdition, La somme de toutes les peurs, Miami Vice), le français Mathieu Kassovitz (qui ne jouait plus depuis Amen. en 2002). Le casting a d'ailleurs été étrange pour les français. Jonathan Zaccaï devait être de la partie avant que le tournage ne soit reporté. Kassovitz s'était promis d'interrompre sa carrière d'acteur, sauf si Spielberg voulait de lui un jour. Amalric, lui aussi en phase de rupture avec son métier, sortant d'un César avec Desplechin, a tellement impressionné la productrice d'E.T., Kathleen Marshall qu'elle l'exige absolument sur le prochain film de Julian Schnabel (avec Johnny Depp). Il est, par ailleurs, l'un des rares à avoir lu le scénario au complet. Pour Yvan Attal, rien de mieux que de séduire avec son premier film de réalisateur, Ma femme est une actrice. Spielberg en a, du coup, acquis les droits pour un remake.
Mais il faut ajouter l'allemand Hanns Zischler (vu chez Wenders, Godard, Costa-Gavras, Szabo, Chabrol, en plus d'être essayiste et traducteur), l'australien Geoffrey Rush (Pirates des Caraïbes et récemment en incarnation de Peter Sellers), le franco-britannique Michael Lonsdale (Le procès, Moonraker, Le nom de la Rose, Les vestiges du jour, Ronon, Section spéciale). En plus d'apparitions de Valéria Bruni-Tedeschi, Hiam Abbas (la palestinienne de Free Zone en plus de La fiancée syrienne ou Stephane Freiss. N'oublions pas la Canadienne Marie-Josée Croze (prix d'interprétation à Cannes avec Les invasions Barbares) et Mathieu Amalric, donc, qu'on reverra chez Sofia Coppola dans Marie-Antoinette.
Les opinions
"Steven n'a jamais voulu faire de Munich un film à message, un film politique. Son propos a été de poser des questions pour susciter le débat. Munich ne fait qu'exposer les faits. C'est au public de se faire sa propre opinion" précise Kathleen Kennedy. On s'attendait donc à une polémique bouillante. Le pétard est à peine mouillé. L'accident cérébral de Sharon? Les élections législatives en Palestine? L'absence de part pris de la part de l'auteur? Une sortie trop précipitée? Peut-être un peu de tout cela. Surtout, pour éviter de travailler avec trop de pression, médiatique et politique, le cinéaste a tout fait rapidement (tournage durant l'été, post production en automne, sortie en dernière limite pour les Oscars en décembre, jusqu'à louper la sélection aux British Awards). Il a aussi tenu à pouvoir bosser secrètement. De même il n'a donné qu'une seule interview sur le sujet avant la sortie américaine (Time Magazine). Bref il a refusé de donner prise à cette fameuse polémique tant attendue, renvoyant dos à dos, dans le film comme dans ses relations publiques, les opinions divergentes.
Il a quand même fallut le renfort des veuves des otages de Munich pour légitimer la véracité des faits ou en tout cas le respect des morts. "C'est un film hollywoodien. Je ne sais pas ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas; Mais ça ne blesse pas Israël." affirme l'une des femmes de ces otages massacrés. Tout le monde s'entend là-dessus, y compris les comédiens en promo : il s'agit d'une production américaine, certes un peu plus complexe qu'habituellement. Ce n'est ni le film d'un cinéaste localement impliqué (Paradise Now par exemple, récent Golden Globe du meilleur film en langue étrangère), ni celui d'un documentariste. En revanche, le film, qui fait un flop au Box Office américain (35 millions de recettes pour un budget deux fois plus élevé), rafraîchit les mémoires. La controverse vient du fait qu'officiellement Israël ne veut pas reconnaître ces actes vengeurs. Des agents israëliens, qualifiés à parler, affirment que tout cela "est fantaisiste et n'a rien à voir avec la réalité." Certes, Spielberg détruit le mythe de Golda Meir et l'amateurisme de ces "missionnaires" prête à sourire. Le film a été violemment attaqué par l'animateur radio Michael Medved, ultra-conservateur pro Bush qui en profita pour répandre sa bave antisémite et accuser Hollywood d'un sionisme flagrant. Les commentateurs juifs américains n'ont pas été en reste reprochant au cinéaste de mettre à égalité les terroristes palestiniens avec les tueurs israëliens. Et même le cerveau de la prise d'otage (toujours vivant), Mohammed Daoud, émet une violente critique contre ce film, qui, selon lui, "n"écoute pas les deux parties de manière égale". "Les femmes des preneurs d'otage n'ont pas eu la chance, elles, de voir le film en avant-première." Certes, mais la projection israëlienne était à l'initiative du gouvernement de Sharon.
Alors laissons la parole à une Palestinienne. L'actrice Hiam Abbas : " Je suis restée pendant tout le tournage pour donner mon point de vue en tant qu'Arabe sur les événements décrits.". Le réalisateur israëlien Amos Gitaï : "Chez Spielberg, il y a systématiquement un aspect éducatif. Le cinéma américain a toujours eu cette démarche sociale et politique, cette volonté de ventiler l'histoire. (...) L'histoire se transmet par le cinema et la télé. (...) Munich a le mérite d'enregistrer l'humeur actuelle du Moyen-Orient." Film inspirés de faits réels, c'est écrit blanc sur noir avant même la première image, reconstitution fictive des événements de septembre 72. Au final les critiques sont plus virulentes du côté israëlien que du côté arabe.
Spielberg a sans doute été trop naïf de croire qu'un simple film pacifiste allait ravir tout le monde, surtout qu'il s'agit d'un conflit toujours à vif. Il plaide que son film ne délivre pas de message politique. Et renvoie à ses accusateurs les qualificatifs qu'il reçoit : "présomptueux, prétentieux, superficiel" selon les mots du consul israëlien à Los Angeles. "Comprendre ne signifie pas oublier. Comprendre ne veut pas dire être tendre, il s'agit, au contraire d'une position forte et courageuse" précise le réalisateur. "Je le vois comme une prière pour la paix." vincy
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