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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Munich
USA / 2005
25.01.06
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LA LISTE D'AVNER
"- ça n'a pas commencé à Munich!"
La Guerre des Mondes, série B au scénario catastrophique (dans les deux sens du terme), s'ouvrait sur une vision d'une New York sans gratte ciel, ou presque, prête à être détruite par des extra terrestres sanguinaires, métaphore terrorisante qui substituait les méchants communistes par une menace plus souterraine...
Munich, film au titre symbolique (ville/vil berceau du nazisme), s'achève sur un plan panoramique de New York : l'ONU en arrière plan (signe de paix), puis la caméra s'oriente sud ouest pour aller se figer sur un sujet plus lointain, au coeur de l'image, les deux tours jumelles du World Trade Center, tout juste érigées à l'époque. Emblème évident que notre après 11 septembre trouve ses racines dans un conflit bien plus ancien, dans une logique (et même une spirale) destructrice, belliqueuse.
Steven Spielberg n'a pas voulu faire un documentaire. De toute façon il ne fait que flirter avec des faits réels dont il s'inspire. Jamais il ne pointe l'incompétence réelle de la police allemande de l'époque, jamais il n'explique réellement l'histoire récente des conflits israëlo-palestiniens, jamais il ne détaille les missions, par ailleurs non exhaustives. Ses préoccupations puisent dans ce matériau historique mais elles diffèrent d'une volonté de coller aux faits.
Munich est avant tout un film pacifiste et humain. Une aventure explosive, cosmopolite et transnationale (dans la lignée des thrillers politiques américains contemporains comme La mort dans la peau, Syriana ou Traffic). Mais aussi une exploration de l'âme. Celle d'un homme transfiguré par sa mission, ou plutôt défiguré. Avner, à l'instar d'Oskar Schindler ou du Capitaine Miller (Saving Private Ryan), est dévoué corps et âmes à son objectif. Mais il est aussi abattu par sa tâche (au sens psychologique, puisqu'il survit à ses crimes). Le sang qu'il répand contamine le groupe, membre par membre ("Tout ce sang nous rattrape."). Jusqu'à l'aliéner lui-même.
Car, au-delà des polémiques partisanes, Munich est avant tout une histoire qui questionne l'esprit de vengeance (oeil pour oeil dent pour dent), la foi (et donc le doute), et la famille (au sens large, puisqu'Israël en est une en soi). Le cinéaste affirme que les représailles peuvent-être stériles, et, a contrario, conduire à la politique du pire (en l'occurrence un terrorisme mondialisé et amoral). Spielberg ne choisit aucun camp. Il a juste son point de vue : américain, pro-israëlien, favorable à la création d'un Etat palestinien. Cependant Munich n'est pas un film de Gitaï (Free Zone) ou Suleiman (Intervention Divine) ni même un Bellochio (Buongiurno Notte). Tout comme il est réalisé avec trente ans d'écart par rapport aux événements, il est à distance de 10 000 kilomètres géographiquement.
De même, il évite de se pencher sur le contexte israëlien (qui légitimait peut-être les décisions de Golda Meir). Mais il essaye d'interroger le spectateur à propos des politiques stratégiques - en général - qui conduisent un Etat à choisir telle ou telle voie - diplomatique ou militaire. Clairement, y répond avec un message simple : toute action armée ne résout rien, détruire des vies n'a aucun sens.
Pourtant le film, ni manichéen ni simpliste, préfère une forme de dialectique tortueuse (les personnages sont tous tourmentés et sous l'emprise de leurs contradictions). Plus nuancé que la plupart de ses films, en cela plus subtil et plus pessimiste que ses oeuvres passées, Munich marque une évolution mature du talent de Spielberg; stylistiquement, le thriller se rapproche de Catch me if you can. En introduisant le sexe, la nudité (explicites) mais aussi l'humour ("Vérifions qu'il est circoncis, il sent l'agent trouble"), la bonne cuisine et les langues étrangères, il s'adapte aux critères cinématographiques exigés du moment. Sa maîtrise des scènes d'action ne doit pas occulter les scènes plus posées, entre références à un cinéma classique (la femme fatale est forcément vêtue de rouge) et importances du jeu et du verbe, soit une tradition plus théâtrale qu'il n'y parait.
Trois scènes résument et relèvent le film :
- le dialogue entre l'israëlien et le palestinien (ignorant l'un et l'autre leur véritable métier, soit un agent du Mossad et un terroriste), mis à égalité, écoutant l'un et l'autre, essayant de comprendre. Le premier cherchant à vivre dans un pays en paix, le second rêvant de vivre sur ses terres.
- le dialogue entre Kassovitz et Bana, en Gare du Nord où le premier interpelle le second sur les fondements du Judaïsme, la peur d'y perdre son identité juive, le désir de remettre la foi au coeur de ses motivations.
- enfin la séquence finale, où Bana et Rush parlent d'Israël, l'un comme un exilé sympathisant, l'autre comme un résidant assiégé.
En trois temps, Spielberg démontre son empathie pour une solution - idéaliste - de paix, de respect et de fidélité. Il choisit ainsi son camp, mais refuse de donner raison à quiconque. Il prête le flanc aux critiques, n'empêche pas les préjugés de s'évacuer. Parce qu'il n'est pas moralisateur, Munich déplaira à ceux qui sont partisans, d'un peuple ou d'un autre. Ce que dit le réalisateur de La Guerre des Mondes n'est jamais qu'un réquisitoire contre le terrorisme, quelque soit l'auteur ou la cause : les attentats, meurtres et autres atrocités ne sont que des ponctuations sensationnelles et impressionnantes créant dynamique cinématographique. Mais, parallèlement, ces actes sanguinaires (et "exponentiellement" coûteux) neutralisent l'effet recherché, puisqu'ils n'en finissent pas, puisqu'ils prolongent indéfiniment cet état de peur, de paranoïa, banalisant la violence plutôt que de l'arrêter. "Et si à chaque fois qu'on en tue un, on en créé six?" Ils amènent plus de crainte et d'inquiétude. "Il n'y a pas de paix au bout de tout ça."
A l'image de Lonsdale, Spielberg utilise ses "mains de boucher et son coeur d'or" pour révéler ses désaccords de Munich. Les origines d'un monde confus et flou, où rien n'est ni noir ni blanc. Vengeance, violence, sentence. Délivrance?
Pour sauver son héros (Bana, intense et dense comme il faut, au point de confirmer la médiocrité d'un Cruise), le réalisateur lui fait tirer son coup pendant que son inconscient lui rappelle ces Palestiniens qui tirent les balles. Ellipse maladroite (mais justifiable), sauvée par l'ultime séquence. Spielberg veut sans doute dire trop de chose. Mais en exhibant une femme nue, en insistant autant sur le rôle des mères (l'épouse, la maman, la Premier Ministre), l'auteur tisse un autre scénario : celui du rapport à la mère-patrie. Le courage, et l'entrée dans l'âge adulte, ce n'est pas d'être fidèle à sa femme, mais plutôt de contredire l'autorité maternelle.
Une déception critique et sévère sur Israël, renvoyant dos à dos les différentes parties à leur responsabilités. Une nécessité de baisser les armes pour coexister sereinement et cesser de faire la fortune des marchands de morts. Une volonté de comprendre, et non pas d'asséner, son ennemi; de ne pas obéir à la loi de la télévision ni celle du Talion. Maintenant il faut trouver des terrains de négociations, ce qui exigera quelques concessions. Munich en fait beaucoup. Mais un unique film n'a pas vocation à tout résoudre, tout expliquer. Après le désenchantement causé par sa Guerre des Mondes, papy Spielberg a souhaité expliquer, de façon assez inattendue et brillante, ce monde de guerres. Les films adultes l'emportent définitivement sur son cinéma ado. vincy
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