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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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UFD
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Production : Telema, TF1 Films, Ciby 2000, RF2K, Force Majeure, Medusa Films
Distribution : UFD Réalisation : Enki Bilal Scénario : Enki Bilal, Serge Lehman, d'après les BD de Enki Bilal
Montage : Véronique Parnet Photo : Pascal Gennesseaux
Décors : Jean-Pierre Fouillet
Musique : Goran Vejvoda, Sigur Ros, Venus
Costumes : Mimi Lempika
Durée : 102 mn
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Linda Hardy : Jill
Thomas Kretschmann : Nikopol
Charlotte Rampling : Elma Turner
Thomas Pollard : Horus
Yann Colette : Froebe
Frédéric Pierrot : John
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Immortel (ad vitam)
France / 2004
24.03.04
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Nikopol, au coeur de la trilogie BD dont Immortel n'est qu'une illustration/interprétation cinématographique, avait la gueule de l'acteur Bruno Ganz, en version dessinée. Bilal a toujours mélangé ses inspirations du 7ème art avec celle du 9ème art. Il le revendique pleinement. Après Resnais (qui a souvent mélangé les deux genres) et les différentes adaptations de "comics" américains ou de classiques belges, le cinéma s'empare des BD plus complexes, moins candides : Blueberry (un échec cinglant) donna le coup d'envoi. Bilal n'en est pas à son coup d'essai. Immortel est son troisième film, après Bunker Palace Hotel (1989) et Tykho Moon (1996), aux destins oubliés. C'est aussi Bilal qui s'occupe des décors du Resnais, La vie est un roman. Les films sont des échecs, critiques et publics. Dans le récent numéro de "Storyboard", Bilal se justifie : "Mes personnages étaient figés par toute une vie de pouvoir, et finissent par devenir des apparatchiks. J'avais cherché une cohérence que j'avais obtenue mais qui n'a pas été vue." On reconnaît là quelques thématiques inhérentes à ses films comme à ses BD. Mais cette froideur, cette déshumanisation, ce regard froid et glacial sur le monde passe peut-être très bien dans un album et moins bien au cinéma... C'est tout le pari d'Immortel.
Car les albums de Bilal ont toujours excité les appétits des producteurs et des cinéastes. Scola voulait réaliser "Les Phalanges de l'ordre noir", "Partie de chasse" a eu de nombreuses propositions cosmopolites, Hors Jeu aussi. Et lorsqu'un pubiste british a voulu s'attaquer à "La Femme piège", Bilal a refusé nettement, déterminé à être le propre adaptateur de la trilogie Nikopol - "La foire aux immortels" (1980), "La femme piège et Froid équateur" (1993). Ses premiers albums en solo. Issu du cinéma de Méliès, la BD a souvent inspiré un cinéma de divertissement (Lucas, Besson, Matrix), Immortel s'inscrit davantage dans un format plus expérimental à la manière de Tron (Moebius chez Disney quand même), de Dune (Lynch) ou de Blade Runner (Scott avouant clairement son admiration pour Bilal). Le dessinateur tente déjà une incursion dans le court métrage (La femme graphique, adapté de La femme piège). Le projet ne verra pas le jour, mais Bilal est approché par le producteur de La vie est un roman, un certain Charles Gassot, humaniste et homme de cinéma, qui produira vingt ans plus tard cet Immortel. Gassot, qui passe des Nuls à Chatilliez, a rassemblé 23 millions d'euros pour cette aventure hors jeu ou hors normes. Car si plusieurs comédiens jouent dans ce film, seulement trois apparaissent en chair et en os, les autres étant mutés en format animé, du numérique 3D. Idem pour les décors ou la narration (entre SF et poésie, entre romance et pamphlet).
Ce métissage prend sa source dès le matériau originel puisque seuls "La foire aux immortels" et "La femme piège" ont servi au scénario d'Immortel, par ailleurs non racontable, rédigé en grande partie par Serge Lehman, auteur de romans de Science Fiction. L'objectif était d'être infidèle aux BD, et loyal envers l'univers de Bilal (qui rappelons-le fut Grand Prix du festival d'Angoulême en 87). A l'instar du peintre congolais Chéri Samba (actuellement à la Fondation Cartier), Bilal a souhaité inscrire du texte et des messages politico-philosophiques dans les images avec les messages agit-prop qui relaient l'esprit et les idées de Nikopol. Autre référence, Baudelaire. Nikopol se décongèle avec les vers d'"Une charogne" tandis qu'il retrouve Jill avec ceux du "Poison". Dans la bande originale du film, entre mélopées mélancoliques et rock gothique, le Poison conclut le hit remixé du groupe belge Venus ("Beautiful Days").
Pour donner corps à l'ensemble on retrouve un assemblage hétéroclite d'acteurs : l'ex Miss France Linda Hardy, le comédien allemand Thomas Kretschmann (proposition de Chéreau, déjà vu dans U-571, Blade II et Le Pianiste), Charlotte Rampling (enfin sortie de l'atmosphère perverse des films d'Ozon), Yann Collette (en flic virtuel) et même les traits de Jean-Louis Trintignant pour un personnage modélisé. Sans compter les 210 infographistes du monde entier réquisitionnés pour l'occasion. Tandis que Bilal continue sa seconde trilogie sur papier ("32 décembre", son plus récent album, est sorti l'été dernier, à grands frais), son film, sans doute son long métrage le plus convainquant, devrait séduire un public un peu plus large que ses deux précédents essais. Ceux qui aiment son univers s'y plongeront avec délectation et ivresse. Les autres s'émerveilleront de cette esthétique étrange. Les Japonais devraient adorer. D'ailleurs le film a été tourné en anglais. Le marché international semble clairement une option voulue pour rentabiliser ce pari fou qui va faire parler de lui, malgré une évidente réticence de la part des médias à traiter un tel OVNI. On est loin des comédies franchouillardes, des films à grands sentiments avec acteurs rondouillards ou même de ces oeuvres dramatico-intimistes et nombrilistes filmées sans projecteurs. L'ambition, si elle ne paie pas, devrait s'éterniser à travers les années, dans des cycles et des cinémathèques, au détour de soirées thématiques, comme Tron ou Le Cobaye.
vincy
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