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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Eternal Sunshine of the Spotless Mind
USA / 2004
06.10.04
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SE SOUVENIR DES BELLES CHOSES
"- Demain t'auras disparu! La fin idéale pour cette histoire de merde!"
Gondry a réussit là où Noé a échoué. Il a su insuffler l'optimisme et une bonne dose de ce qui est magique dans la vie avec cette histoire d'amour irréversible. Quand Gaspard Noé ne savait filmer rien d'autre que la bêtise et l'aveuglement destructeur, achevant sa vision dans un cul-de-sac sombre, animal et violent, Michael Gondry préfère l'opportunité d'une seconde chance, un horizon infini et des jolis mots pour se lier. Même si "parler sans arrêt ne veut pas dire communiquer".
Pourtant cette histoire d'amour commence mal, ou trop bien. Preuve que la chose est hasardeuse, mais qu'il faut bien se lancer. Le film, dès les premiers dialogues, s'ancrent dans un constat amer du monde qui nous entoure : ni adapté aux romantiques, ni adéquats pour les rêveurs pas trop riches. Ce monde hivernal ne peut être réchauffé que par un véritable et grand amour, difficile à faire survivre avec les compromis du quotidien : comme un feu de camp qui s'éteint lentement tout au long de la nuit glacée si l'on ne veille pas au grain. La Saint Valentin n'existe, ici, que pour les vendeurs de carte, et permet de foutre en l'air la moitié des célibataires. Un timide introverti et dépressif comme le personnage de Jim Carrey (dans ce registre, il est vraiment très bien) n'y a donc pas sa place.
Le mal d'être aimé a rarement été aussi visible, aussi bien vu. Il faut qu'il rencontre une Kate Winslet replète pour s'y sentir mieux. Mais voilà, la survivante du Titanic (évidemment sous employée depuis) change de vie et d'idées comme de couleurs de cheveux, entre maniaquerie et indécision permanente. A ces petits détails, le duo Gondry-Kaufmann installe un univers à la fois banal et singulier (à l'image de leur sujet), original et conforme à la réalité.
De ce lavage de cerveau, le cinéaste retient à son initiation amoureuse pour tirer une belle leçon de vie : la douleur, la souffrance, les erreurs ne sont pas indissociables des événements plus joyeux. Il n'y a pas d'amour heureux et la mélancolie envahit ces esprits poétiques. L'entreprise de démolition de la mémoire aura raison de tout, sauf de l'essentiel : le déclic, l'alchimie, ce putain de désir qui fait que deux êtres se trouvent bien ensemble, par delà les apparences ou les clivages.
Mais à l'instar de tous les scénarii écrits par Kaufman, Eternal Sunshine devient confus (il faudra attendre la fin pour être certain de bien comprendre la chronologie des événements) et se relâche. A contrario d'Adaptation ou de Being John Malkovich, c'est le milieu du film qui pêche, et non la fin. Piégé, as usual, par son concept narratif, Kaufman survole une grande partie de l'histoire d'A comme on zappe d'une scène à l'autre, pour s'arrêter sur les meilleurs extraits de cette vie sentimentale, comme une compilation, un best of qui dénature un peu l'intensité recherchée. Visuellement, on y perd en efficacité. Côté émotions, on est embrouillés. Bref, on regarde, halluciné, mais pas emporté.
Ozon avait résumé une histoire d'amour en cinq étapes décisives. Gondry préfère synthétiser avec quelques accélérations de multiples souvenirs, tous symboliques, naviguant entre cliché et inconscient. Nous ne faisons que feuilleter un album de souvenirs. Pour se sauver de ce mauvais pas, Gondry bifurque vers des histoires parallèles, qui hélas, n'apportent rien, si ce n'est un certain fatalisme... Nous sommes ainsi distraits, mais pas forcément divertis.
Dans cette ville inventée avec une librairie pour seul lieu de rencontre, ou sur cette plage isolée, parfait endroit pour rassembler deux tourtereaux, Gondry imagine un espace "américain", virtuel. Nous sommes dans un deuxième monde. On lui efface sa mémoire comme on efface un disque dur... Il y aura d'ailleurs un bug dans le process : la vie.
Une vie compliquée avec une écriture expérimentale où le cinéma atteint ses limites. Le spectateur, largué, sera finalement soulagé par le message (la morale?). Le contraste est marquant car simpliste. Leur regard sur le monde, sur l'humain demeure magnifique. On s'identifie naturellement à ce couple déchiré. Les auteurs nous prennent finalement la tête pour mieux nous faire voir l'inutilité de ces obstacles créés par nos propres névroses. Pour vivre son amour, vivons-le librement : tout simplement?
Mais ce serait faire fi des rêves, des émotions, des fantasmes, de nos souvenirs et du subconscient. Cet ensemble nous dévie de cette ligne droite et claire; et notre promenade dans l'esprit de Carrey nous permet d'entrevoir à quel point nous pouvons être dépassés par notre propre cerveau, capable du pire comme du meilleur.
Audacieux, mais déséquilibré, Eternal Sunshine prouve que Kaufman est un des rares scénaristes à construire des passerelles entre la psychologie, la littérature égocentrique et une observation humaine et sociale. Un cinéma très contemporain à hauteur d'homme (même quand celui-ci est un bébé). Ca aurait peut-être mérité un traitement moins tortueux. Il manque cet emballement propre aux "trips" intérieurs. Un voyage dont on se demande comment il va finir, même à la fin. vincy
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