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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Kamchatka
/ 2002
01.12.04
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AU REVOIR LES PARENTS !
" - Si tu te détaches en une minute, tu es un Houdini. Deux, un Médiocrini. Trois, un Desastrini"
Une petite voix rauque et enfantine nous récite bien studieusement la complexe théorie de l'Evolution. Sur fond d'infiniment petit, de grappes d'insectes survoltés et d'une nature florissante royaume des grands prédateurs, l'enfant poursuit son énoncé sans hésitations. Jusqu'à cette conclusion effrayante en forme d'aveu : " Tout s'est passé pour moi comme pour les cellules... c'est à Kamchatka que tout s'est arrêté ". Le ton est donné. Abasourdi, le spectateur devine de suite qu'il ne sortira pas indemne de cette aventure. Marcelo Piñeyro ne lui offre dès lors aucun répit. L'inscription "Automne 1976. Lendemain du putsch " qui orne subitement l'écran laisse augurer du pire. Mauvaise intuition. Car là où l'on s'attendait à subir le défilé des hommes en armes et des innocents menottés sur fond de cris et de pleurs, c'est la vision presque surréaliste d'une 2CV orangée qui s'impose. Tout est calme, de splendides rayons de soleil d'arrière-saison illuminent les immeubles alentours alors qu'Harry, Microbe et leur jeune maman, plaisantent à n'en plus finir. Le barrage militaire qui s'étend au coin de la rue est un cruel et impitoyable retour à la réalité. Pour les adultes seulement. Harry lui, contemple mi-hagard mi-excité ces drôles de soldats extraterrestres sorti de nulle part alors que résonne le générique des " Envahisseurs ". Un jeu pour enfants en somme.
Plutôt que de bâtir un énième et rigoureux témoignage sur le drame qui toucha l'Argentine (et toute l'Amérique du Sud) à l'orée des années 70, Marcelo Piñeyro et Marcelo Figueras ont subtilement choisi de confronter l'univers naïf et enjôlé de l'enfance à celui plus sévère et bien réel des adultes en proie à la peur et la persécution. Tout, de la fuite précipitée à l'isolement le plus complet, est vécu ici à hauteur de " petit d'homme ". La violence pure elle, est d'ailleurs quasi absente tout le long du film. A vrai dire, Harry ne quitte pas Buenos Aires pour se morfondre dans un camp retranché glacial et inhospitalier. Le point de chute ressemble bien plus à une grande propriété avec piscine et jardin, agrémenté de dîners copieux, de télévision à volonté et de batailles de polochons endiablées. Rien ne manque. Si ce n'est l'essentiel : de la peluche pour s'endormir jusqu'au meilleur copain Bertuccio. A tout cela s'ajoute l'obligation de vivre avec ce nom et ce passé d'emprunt. Pas découragé, Harry échappe à la solitude de sa cage dorée à la lecture des exploits du grand Houdini. Et oublie au gré des jeux et des défis qu'il s'impose, les silences et les non-dits des adultes. Si le scénario ne souffle mot des événements tragiques qui plongent l'Argentine vers le néant, la tension ne disparaît pas pour autant. Sans tomber dans le tragique, les brefs instants d'angoisses découlent de la tentation d' Harry de briser les interdictions et de sa confrontation avec un nouveau venu (Lucas), que le réalisateur accentue par de subtiles et ingénieuses " trouvailles " de mise en scène.
En dépit du combat décisif qui se joue devant nous, la vie reprend sans cesse son droit. Chez Piñeyro le terme "résistance" s'écarte de son symbolisme héroïque et guerrier pour acquérir un caractère plus intimiste et personnel. Loin des discours enflammés et des luttes armées, les héros de Kamchatka contribuent eux aussi à l'espoir en chantant à tue-tête, en improvisant des concours de danse bigarrés, en jouant (de la partie de "Risk" naîtra la parabole de Kamchatka) et en s'aimant comme au premier jour. Une manière comme une autre de s'opposer aux oppresseurs. Dans ces moments de bonheurs ultimes magnifiés par des dialogues d'une limpidité et d'une justesse étonnantes, la générosité des deux têtes d'affiches n'en est que plus flagrante. L'inoubliable Manuela de Tout sur ma mère comble de toute sa douceur naturelle son personnage de maman déboussolée (comment ne pas tomber amoureux !), secondée par un Ricardo Darin époustouflant de charisme et de sincérité. Malgré leur immense talent, les deux acteurs argentins ne pèsent pas lourds face à la déferlante Matìas Del Pozo. Ce petit bout en train de génie, capable d'éclairs de maturité aussi soudains que miraculeux, transforme l'intimisme joyeux de Kamchatka en instants de poésie manifestes.
Mais c'est là le calme avant la tempête. Sans crier gare le destin s'abat sur la joyeuse bande tel l'esprit revanchard impatient de récupérer son dû. Les visages radieux et les sourires complices d'hier s'estompent immanquablement. Pris dans les méandres de l'Histoire, le petit Harry devenu adulte à sa manière, assiste impuissant à l'inéluctable drame qui se dessine. Les mots se font rares à mesure que le temps s'écoule. Ébranlé par le bouleversant plan-séquence final, le spectateur n'a déjà plus que ses yeux pour pleurer. Ailleurs pourtant Kamchatka résiste. jean-françois
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