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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Maria full of grace (Maria pleine de grâce)
USA / 2004
08.12.04
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LA FILLE SEULE
"- On reste jusqu'à ce que vous ayez tout chié."
Cette Marie n'a rien de virginale. Enceinte de son amant du moment, un jeune mec crétin, elle va risquer le prix du danger : de l'argent contre de la came. Elle est maîtresse de toutes ses décisions, et n'a rien d'une victime. Le film n'est pourtant pas exempt de souffrance, de passion, de sacrifice.
Entre vendeuse de roses (cf le film de Victor Gaviria en 1998) et vierge des tueurs (cf le film de Barbet Shroeder en 2000), celle-ci n'a rien de tragique et de pathétique. Aucune compassion, mais juste une forme de réalité qui nous saigne, baignée dans un lyrisme qui nous enchante. Il n'y a aucun dépit lorsque l'on nous dépeint cette jeune et belle Colombienne qui rêve de voir le monde d'en haut, qui est prête à mourir plutôt que de vivre dans sa précarité.
La mise en scène, en symbiose avec l'interprétation, nous fait partager le moindre frémissement de peau, la moindre inquiétude qui perce le regard, la moindre douleur traversant le corps de cette Maria, que l'on croyait pourtant si étrangère. Sa famille l'oppresse, ses désirs sont lointains, son patron la tyrannise, son copain la méprise. Elle préférera l'homme à la moto au gamin au vélo. Aspirant à plus d'individualisme, nous voici ses compagnons de route, de galère, d'espoirs. Car nous ne savons pas où tout cela nous mènera : la vie, la mort, l'improbable?
Cette vie "rêvée" d'un ange tournera fatalement au cauchemar. On ne fréquente pas l'univers du trafic de drogue sans y laisser quelques plumes. Têtue mais bêcheuse, elle est une vraie mule : de celles qui ne se laissent pas faire, de celles qui acceptent leur croix, fardeau empoisonnant de 60 capsules de poudre pure. La voici désormais impure. Bombe humaine.
Jamais un grain de raisin n'a été aussi stressant au cinéma... La caméra est au plus proche de son héroïne, au coeur de cette folie cupide et destructrice. Il faut toute la vitalité de la réalisation et la détermination du personnage pour ne pas nous plonger dans le sordide ou le glauque, le misérabilisme ou la tragédie distante. Il n'y a qu'une errance, banale (c'est la limite du film), spectrale (c'est sa force).
Spectateurs que nous sommes, occidentaux, nous n'avons rien à voir avec cet exil dangereux. Nous sommes ce qu'elle veut être : riches et libres. Le seul mobile pour ce crime menaçant. Sale job et tueur, ce trafic ignoble devient soudainement une ascension plutôt qu'une apocalypse. Il y a quelque chose de bizarrement lumineux à travers toute cette noirceur. La photo, soignée? La musique, élégante? De caps en points de non retour, l'itinéraire se construit sous nos yeux. Tandis que ces sales porcs machos sont prêts à assassiner une jolie femme et quelques paysannes, nous n'avons d'yeux que pour celle qui aura accompli son destin jusqu'au bout, avec son libre arbitre pour seule arme. Elle laisse glisser les coups, elle avale les couleuvres. Elle se retient. Mais délestée de cette merde qui va lui pourrir la conscience, elle nous éblouit avec son ultime choix, son plus beau. Celui du passage à l'âge de raison.
Avec un sens du suspens maîtrisé, une actrice transfigurée, et une histoire poignante, et malgré cette allure de film indépendant trop marqué, ce féminisme un peu outrancier, Maria full fo Grace est une oeuvre qui, à défaut de guérir nos plaies, apaise et, à l'instar de cette future maman, flotte. Libre dans sa tête. Bien dans sa peau. Et le ventre plein, mais désintoxiqué. vincy
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