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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Ocean's 12 (Ocean s Twelve)
USA / 2004
15.12.04
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LES BRONZES FONT DU CINEMA
"- Je n'ai jamais été à Amsterdam.
- Il parait que les Allemandes sont bonnes."
Un film de casse? Un film de cast! Si l'on considère le cumul des cachets de ses stars, le véritable hold up est du côté des coulisses : c'est Warner qui a du se faire plumer. On a du lui vendre une suite, un film à suspens, le casse des casse, et quelques bonus pour pimenter le marketing. Au final, nous voici avec une comédie aux frontières du pastiche, un film de potes en vacances, une série de clins d'oeil et une véritable mise en abîme du blockbuster hollywoodien (et de ses règles).
Pour les spectateurs normaux, le film apparaîtra au mieux comme une aimable comédie rythmée et bien foutue, au pire comme un film sans histoire. Pour les initiés, cinéphiles et autres passionnés, Ocean's 12 s'avérera une expérience bien différente. Un film à clefs, un jeu de piste, une multitude de références et une source d'auto-dérision. Soderbergh, à l'instar d'un Joe Dante avec Gremlins II, massacre (avec élégance) les codes de la sequel hollywoodienne, les contraintes de la super-production. Pour montrer quoi? Qu'il sait maîtriser le langage cinématographique? On le savait déjà. Qu'il sait mélanger Scorsese, James Bond (les premiers) et autres films issus de la Blaxploitation? Qui l'ignorait? Flashy et stylé, musical et bavard, Ocean's 12 est avant tout grand public : pas de sang, pas de sexe, pas de suspens. Pourtant il y a l'odeur du crime, le parfum de la romance et un dead line à respecter (le compte à rebours est là pour nous le rappeler, jusqu'au moment où le cinéaste manipule le temps à notre insu). Le film est en fait bien plus conceptuel et cérébral qu'on ne le croit. Et tient en trois scènes.
Première scène : Brad Pitt. Il ouvre le film. Il embrasse un nouveau personnage, Catherine Zeta-Jones. Bisou. Et pourtant ça sent déjà le roussi. Est-elle le douzième membre? C'est la seule question qui sous tend l'ensemble du film. Qui sera le douzième homme?
Seconde séquence, vers le milieu du film. Dialogue entre Matt Damon et Brad Pitt. Pitt ne répond pas aux questions de son acolyte. Il n'expliquera rien, ne dira rien. Texto. Et de fait, il gardera pour lui les explications et les justifications. Damon se moque avec enfantillage de tous ces mystères. Il a tort. Car ils resteront mystérieux : le spectateur n'en saura pas davantage. Les "trous" apparents du scénario sont dans la tête du personnage de Pitt. Soderbergh nous a prévenu. Après tout, en dix secondes, on retourne un méchant avec un secret susurré à l'oreille, dont on ne saura jamais rien. Il faut accepter ce postulat.
Troisième clap, à la fin du film. Pitt révèle qui est le plus grand des voleurs. Et il renvoie à la première scène, puisque Zeta-Jones y trouve la réponse à son existentielle question. Le film s'ouvre et se ferme sur le même couple. C'est l'histoire d'un duo impossible, la flic et le voleur, d'une histoire d'amour irréaliste. Pas de prénoms. On est en terrain familier.
Le reste n'est qu'un prétexte, du second degré, une belle nonchalance. Mais quelle excuse pour se moquer d'eux-même et de leurs employeurs respectif
Constatons.
Clooney est en haut de l'affiche? Rarement star n'a aussi peu à dire, à jouer et à faire... Sa première scène annonce la couleur, répétition d'Out of Sight : il est à la retraite. Il ne se préoccupe que de son apparence et quand il parle, c'est souvent dans le vide.
"- Tu me donnes 50 ans?
- Oui.
- Vraiment?
- Enfin, juste au dessus du cou."
Damon est devenu une star de premier plan avec les Jason Bourne? Il réclame un rôle plus central (il l'aura) mais devra passer par une séance de bizutage. Bruce Willis avait refusé de jouer dans le premier? Il a un rôle primordial dans le second. Topher Grace vient de jouer avec Dennis Quaid, dans un film qui n'est pas encore en salles? Il s'invite dans une scène et s'excuse d'avoir été si nul face à Quaid!
Mais le meilleur concerne Julia Roberts. Enceinte dans la réalité d'un certain Danny Moder, la star incarne ici Tess (à peine maquillée, déglamourisée, sortie de Full frontal), mariée à un autre Danny (Ocean). Imaginez le quiproquo lorsque Tess doit jouer Julia, pour la réussite d'un vol de haut calibre. Julia incarne Tess qui joue Julia. Et cela devient absurde quand Tess, c'est à dire Julia, téléphone à Julia Roberts... Sacré challenge : comment jouer Julia Roberts, quand on est Julia Roberts. Mais jouent-ils vraiment? Ils donnent plus l'impression de s'amuser. A moins qu'on ne regarde un making of.
Ocean's 12 n'est qu'une compilation de non sens. Un jeu de rôles démultiplié. Aucun des hold up ne fonctionne. Ils sont soit invraisemblables (pour ne pas dire énormes), soit rapidement racontés. Le seul casse qui compte est résumé en fin de film, façon flash back. Ils sont douze? Très rapidement, Soderbergh les fout hors course un par un. Bref l'arnaque est permanente. Après tout, cette suite n'existe que parce qu'Andy Garcia, hilarant en méchant, veut récupérer son fric, alors qu'il s'est fait remboursé par les assurances. Il veut "doubler la mise". Le cinéma n'est qu'un casino. Garcia symboliserait-il Warner? Et dans ce cas comment interpréter l'ultime plan avec Garcia?
Car Soderbergh n'a rien d'un innocent, obsédé par le sens des images et des mots. Dans ce jeu de miroir, Zeta Jones, enceinte sur le tournage de Traffic, passe la grossesse à Julia. Zeta Jones poursuivait un voleur dans Haute Voltige ou était mariée à Clooney dans Intolérable Cruauté? Elle se retrouve dans les bras de Brad Pitt - puisque Clooney est avec Julia. Pitt, quant à lui, était marié à Julia dans Le Mexicain. Naturellement, Roberts et Zeta Jones étaient soeurs dans une autre vie (America's Sweetheart). On en rajoute une louche avec la présence d'Albert Finney, mentor de Julia "Erin Brockovich" Roberts, et ici fortement lié à l'autre "girl". Bref ce joyeux mélange des genres dévoile un inceste avéré entre les différents membres de la famille Soderbergh (avec les liens du sang au coeur de la psychologie de deux des personnages). Car c'est bien une production "familiale", avec le clan et les étrangers (Cassel, Garcia), dans une Europe aussi toc que les imitations de Las Vegas. Cluedo en couleurs, où les voyantes ne prévoient rien et les bracelets kaballistiques portent malheur, Ocean's 12 est un détournement facétieux du genre, un contournement malin d'une commande destinée à augmenter les profits d'une multinationale.
Soderbergh n'a plus rien à ajouter. D'ailleurs il n'avait rien à dire, c'est bien là un aveu d'impuissance. Même les stars, filmées comme des demi dieux, n'ont rien de plus que nous, misérables humains : les enfants de Bruce Willis n'ont-ils pas des serviettes Bob L'éponge, comme les nôtres? Film d'anti-héros, ces "indestructibles" ne veulent pas changer le monde, mais juste vivre peinards. Allégorie sidérante du rôle du 7ème art dans notre civilisation actuelle. Un film pour rien, tous pour un film. Le tout serait de rester cool. vincy
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