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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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AMES-TRAMES-GRAMMES
"- Ca n'est pas arrivé à nous!"
Dans une société qui tend à rechercher toujours et encore des coupables, tout en se déresponsabilisant en permanence, le cinéma passionnant d'Inarritu, qui refuse d'imposer des réponses, ouvre la voie à des interrogations sur les hasards de la vie. Par une équation mathématique fort simple, il prouve que cette vie n'a rien de logique, n'a rien de juste et qu'il faut savoir appréhender autant le bonheur (rare) que la douleur (hélas plus fréquente). Toute la violence de ses films réside dans ce scandale qu'est la destinée, fragmentée, chaotique, comme ce film qui recompose les morceaux d'un puzzle épars, et qui cherche sa cohérence, une forme de linéarité, à défaut d'une sérénité retrouvée. Car la force de ce film est sans doute de ne jamais montrer l'atroce (les victimes, les morts, le sang) mais bien de nous le faire ressentir à travers les émotions que l'horreur suscite sur ses protagonistes. En ce sens, Inarritu va filmer un accident de voiture assassin à la manière d'un Kieslowski (Bleu). Subjectivement. Sans aucune trace de pneu. Juste l'image d'un véhicule, fugace, avant un bruit sourd au loin. Nous sommes loin des principes de démonstration hollywoodiens.
Mais nous sommes proches d'Amours Chiennes, qui déjà explorait la fatalité et les injustices de la vie. Les deux films se font échos. Le plus opulent et chanceux des personnages va devoir composer avec la mort, inéluctable, précoce, comme la vedette mexicaine devait rester clouée sur une chaise roulante. Les malheurs naissent tous d'un point de vue démultiplié (ici triptyque) et d'un accident de voiture (la cause de tous les dégâts). Comme si un croisement en bitume devenait la plus parfaite des allégories pour la croisée des chemins, sorte de roulette russe où la vie, la mort et la souffrance se remettent en jeu. De la taule froissée naît les hématomes de l'âme.
Car ces êtres sont en perdition. Dans l'antichambre de leur propre mort. L'Amérique semble malade au coeur, mais aussi de ses drogues et dans sa foi. Dans cette tragédie, Inarritu orchestre un moderne bal des maudits, magnifiquement interprétés par Penn, Watts, et Del Toro. Sans oublier Charlotte Gainsbourg. Ce bal traverse tous les symboles (hôpitaux, motels, églises) de ce pays anonyme et sans Histoire, aux paysages quelconques et aux rues toutes semblables. Les personnages s'y affrontent et confrontent leur cas de conscience, face à la valeur de la vie et l'incompréhension de la mort. Tous les cas de conscience y sont évalués : dons d'organe, euthanasie, dons du sang, avortement, dons de soi, ... Dieu est mis à rude épreuve. D'autant que la culpabilité hante tous les protagonistes. Cet oeil de Caïn conduit à chacun des gestes qui feront la logique du scénario. C'est lui qui réunira ces trois personnes et les liera par le sang, par les sentiments.
Les sentiments traversés sont à la mesure du cinéma. Inarritu, grand directeur d'acteur, mais aussi grand créateur d'émotions, n'hésitant pas à nous agresser avec des chocs, à révéler l'animalité des hommes et parfois à contempler un simple instant de sensualité. Avec des phrases simples ("Rien ne les ramènera") comme des extraits de vie, le film avance de manière insensée. Comme on reconstitue un passé par différents morceaux. Preuve que la vie n'est pas une simple ligne. Dans cette déchéance morale, cette descente aux enfers aliénée, le tempo n'est pas innocent. Frénétique à ses débuts, le film se ralentit pour s'apaiser complètement vers la fin. L'humain l'emporte sur la justice et la dramaturgie classique du cinéma américain. Cette fin, qui étonnera certains, ouvre nos yeux vers la compassion, à défaut de pardon. Mais avant de parvenir à cette séquence conclusive, le coup de blues de Memphis se sera mué en longue complainte douloureuse. Certains décrocheront peut-être car Inarritu impose quelques futiles digressions, à trop vouloir respecter son système mathématique qui nous détourne de l'essentiel, gardé pour le dessert.
Nous finissons asséchés, comateux. Lourds de 21 grammes en plus. Car même si la vie doit continuer, malgré tous ses malheurs - et on en subira une dose massive - "la vie ne continue pas comme ça." vincy
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