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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Innocence
France / 2004
12.01.05
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JEUX D'ENFANTS?
"- Faut toujours suivre les lampadaires."
Selon qu'on est fille ou garçon, le spectateur recevra différemment ce film. Les filles y verront un portrait intime de leur évolution, les garçons ne s'empêcheront pas de culpabiliser sur la perversité érotique du propos. On ne devrait jamais massacrer l'innocence et pourtant elle nous dérange, visiblement.
Il faut alors faire passer quelques jours pour comprendre les effets du virus qui nous a contaminé nos neurones. Effet pervers. On y revient. Désagréable. Pourquoi ce très beau film, visuellement singulier, nous a happé durant une heure. Lorsque la cinéaste ne nous parlait que de l'enfance. Dès qu'elle quitte son personnage principal, la benjamine, et qu'elle nous bascule vers l'aînée, au bord du dérèglement hormonale, notre regard change. Nous passons du conte fantastique à la fable sordide. D'un univers mystérieux à une réalité malsaine.
Pourquoi tant de haine (contre le spectateur)? L'idée de départ nous emballait. Les premières minutes nous font voyager de l'extérieur vers l'intérieur, de la nature sauvage à un château bien organisé. Une succession de photos et de sons qui créent un mouvement grâce à des plans immobiles. Et puis ces Lolitas sans nichons qui feront bander les nippons : vierges immaculés en robes plissées et petites culottes blanches. Caméra sous les jupes des filles pour mieux titiller nos instincts coupables. Ca ne marche pas si vous êtes gay - sexualité qui semble échapper au couple Noé/Hadzihalilovic. On se croirait chez Gainsbourg. On préfère la fraîcheur des Roseaux Sauvages. Tout le naturalisme qui accompagne le film fait écho à d'autres essais du genre, comme Hukkle (Hic!). Ca ne nous émeut pas. Trop cérébral? Trop étudié? Pas assez spontané? Sans aucun doute. Etrange parce que factice et théâtral, maniéré et stylisé. Seul le naturel nous fascine. Et la relation avec les adultes, même si elle est très mal exploitée. Pas faute d'avoir deux très bonnes comédiennes pour jouer sur l'ambivalence même de leur relation (lesbienne?).
Car, si le film est intelligent - il ne le sait que trop bien en abusant de symboles (du genre, "vous avez vu : je sais donner du sens à une image") - il n'est pas complètement maîtrisé. A force de prendre son temps, il perd de son intérêt, devenant vaniteux, dédramatisant chacune des ponctuations. Nous ne respirons plus, nous nous endormons. Nous n'étouffons pas non plus, nous aspirons à une bouffée d'air. Tout est trop nébuleux sur la dernière demi heure, trop emmêlé. Finalement elle n'avait rien dire. Alors nous restons pour voir. Mais en perdant le regard d'Iris, le film perd son spectateur, qui s'y était attaché, innocemment.
Il nous oblige à regarder ailleurs, et ce qu'on y voit nous déplaît : un fantasme grossier, une réalité vulgaire, un plan final bêtement freudien. Tout ça pour ça. Déception garantie. D'autant que la jeune fille qui se prend pour Anita Eckberg, maquillée malgré ses 12 ans, se transforme en allumeuse. Et nous glace d'entrée. Tout le monde n'a pas des instincts incestueux ou pédophiles, même enfouis. La réalisatrice diffuse un mal être, plutôt que de nous inciter à la tentation ou de réfléchir nos pulsions. Si elle a su installer une atmosphère inquiétante, asexuée, ambiguë, elle renie toute forme de pensées et tente, maladroitement, de réaliser une oeuvre qui réveille nos démons enfouis. Entre les interdits, les punitions, les sévices, entre cette cruauté et cette candeur mélangées, elle cherche une voie : dans ces couloirs sordides (métaphore habituelle de l'inconscient), par dessus les murs infranchissables (qui nous séparent du monde adulte, de notre libre arbitre).
Pourquoi pas? Le cinéma est une thérapie comme les autres. Drôle de vie quand même : on y naît dans les cercueils et on y rêve de gros geysers... Pas très féministe ce film : la danse et la reproduction comme uniques mamelles de l'épanouissement de la femme, et l'homme comme seul salut. Et que penser d'un tel slogan : "l'obéissance est le seul chemin qui mène au bonheur"? Provocateur peut-être. Ca nous semble tellement loin du rôle contemporain de la femme...
Alors avons-nous l'esprit mal tourné? Pas dans le bon sens : ni touché par la perversion imposée, ni acquis à la morale éventuelle. Juste admiratif d'un si beau travail technique. Gardant en mémoire la première heure, le chapitre sincèrement innocent du film, finalement. Puis nous nous méfions : dédié à Gaspard Noé, provocateur par excellence, aidé par un marketing étudié en puissance, tout flaire un concept plus qu'un sujet ou un propos : du dossier de presse au générique en passant par l'affiche, le film semble un packaging pour cibler le public japonais qui y trouvera son bonheur. Nous, cyniques, verrons une simple volonté de se différencier. Mais ça ne rend pas l'entreprise originale. Et quand Cotillard lance : "ce qui est sur c'est tu vas nous oublier très vite", nous en sommes tout aussi persuadés. Nous préférerons revoir le génie poétique d'une Sofia Coppola avec son Virgin Suicides. Des vestales prisonnières de leur éducation, de leur maison, de leur mère, et qui s'en échappent par l'horreur. Leurs voisins, des garçons, en parlent encore....
vincy
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