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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Mar Adentro (The Sea Inside)
Espagne / 2004
02.02.05
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QUAND L'AMER MONTE...
"- Tu me files une taffe?
- Tu fumes?
- Au cas où ça me tuerait... Mais même pas."
Alejandro Amenabar s'est imposé dans notre imaginaire en quatre films. Il aime flirter avec la mort, élément intrasèque de son cinéma, puisqu'il situe ses personnages dans l'au-delà, ou à ses frontières. Ici, l'homme cherche à mourir, parce qu'il n'y a rien après : a-t-on déjà vu une feuille renaître une fois tombée de sa branche?
Mais le droit de mourir n'est pas acquis dans une société qui transforme thanatos en tabou. Dans cette Espagne laïque mais encore étouffée par son Eglise, les autorités sont malmenées face à leur attitude rétrograde. Curés, juges et patriarche en prennent pour leur grade devant tant d'étroitesse d'esprit. Pour eux nulle compassion ou compréhension, point de pardon, juste le crime qui prévaut. Personne ne se soucie de l'inaccessibilité du Tribunal à un homme en chaise roulante, qui ne sera donc pas écouté. Même chaise roulante qui rend impossible le dialogue (de sourds) entre l'athée et l'avocat de Dieu (magnifique séquence avec un beau jésuite pris le cul entre deux "chaises"). On croise ici La Mala Educacion du collègue Almodovar.
Mais Amenabar ne fouille aucun souvenir et nous emmène dans un voyage intérieur. On y aperçoit de l'amour, des paysages, des solitudes. La Liberté, en chacun de nous. Le film est libre, jolies transitions et tout coulant de source, beau élégant. La musique colore cette prison pluvieuses et grise. Il n'y a bien que les rêves qui ont le droit à la lumière d'un soleil presque surnaturel. Le film aurait pu être immobile, mais il est en mouvement. Le cinéaste a choisit la vie en nous enfermant dans une chambre avec vue. La fenêtre donne sur tous nos fantasmes. Pour son personnage central, cette chimère, ce trajet impossible c'est une courte distance entre sa main et les autres humains. Ultime tentation : le toucher.
Alors il n'a que l'évasion comme sortie de secours, comme dernier recours. "Imagine un écran, un écran de cinéma..."
C'est du grand cinéma. Car il va fouiller dans notre plus profonde intimité, dans notre rapport à la mort, dans notre relation à la vie. La mort fait partie de nous, et pourtant nous serions choqués, offusqués de voir quelqu'un prendre cette option inéluctable, juste un peu plus tôt que prévu? Ou avec 26 ans de retard? Il n'y a qu'une seule mort qui est criminelle aux yeux de la loi ; l'euthanasie. Pourquoi cette façon de mourir est-elle condamnable, et pas les autres? Et si nous étions le le problème? Les accusateurs du crime ne sont-ils pas les accusés du film?
Quelles raisons nous poussent à juger le destin de quelqu'un, de l'empêcher d'exercer son libre arbitre? Pourquoi se sent-on l'obligation de se mêler de sa vie, de provoquer chez lui, une envie (celle de vivre)? Qui sommes-nous pour lui ordonner de vivre? Incapable de bouger, d'aimer. N'est-il pas en vie pour le simple bonheur égoïste de ces êtres qui trouvent un sens à leur existence en s'occupant de lui, comme on s'occupe des bébés phoques ou d'un orphelin africain, par une aide mensuelle. Le vie est-elle si belle quand on ne peut pas en profiter? Et Amenabar la filme cette vie hors-de-lui. Cruel. Sa somme des bonheurs ne suffit pas à égaler son malheur. En une phrase tout est dit, ressenti.
Car ce n'est pas rose la vie. Surtout lorsqu'on est confronté à l'inculture d'un neveu, un frère primitif, des marmots braillards, un père sénile. Certes, le réalisateur expose aussi la beauté, la jeunesse, l'insouciance, la douce caresse du soleil ou le vertige d'un plongeon. Pour mieux nous montrer que tout est fragile et éphémère. L'avenir est incertain, la vie peut faire peur. C'est parce que la mort peut te chopper en un instant qu'il faut savoir en profiter. A quoi servent les illusions, dans ce cas? Toutes ces contradictions amènent un débat. Chaque rôle apporte sa pierre à l'édifice final. Il ne faut pas craindre la mort. Et parce que la vie n'est pas forcément belle et bonne, il faut parfois venir la chercher, peut-être. Mar Adentro s'attaque ainsi à un précepte erroné : la vie vaut la peine d'être vécue. Vraiment?
En tout cas, avec ce film on la voit différemment. Car le personnage a l'humour (noir) de ceux qui savent qu'ils vont mourir. Fatalités. Alors il transmet généreusement à "son" fils, le neveu. Il cherche l'amour de sa vie, celle qui lui donnera la mort. Voilà le sens profond du mot. Accompagner l'autre dans son choix. La vie a ses responsabilités. Et on y pleure ses morts. On se moque de la vie, et on n'ose pas narguer la mort. Parce que le temps est un malin, la parole peut devenir regret. Un mot dit nous transforme en maudit. tant d'amour perdu...
Amenabar est doué. Pour nous aider à comprendre (et au final) défendre l'acte inéluctable, rien ne vaut des personnages auxquels on s'identifie, tout en nuances. Autour de l'incroyable Javier Bardem, les acteurs jouent à la perfection leur partition de cordes sensibles. Redoutable efficacité dans l'émotion, Mar Adentro tire les larmes et remplirait un océan. Dans cette Espagne Atlantique et mélancolique, celle des marins perdus, l'impuissance du bonhomme et sa souffrance nous bouleversent, irrésistiblement. La séquence finale est poignante : la mort a d'étranges apparences. parfois elle hante les vivants. Le cinéaste aime effleurer les rêves d'avant et les leurres d'après, manipulés les sentiments et les faux semblants. Mais là il n'a pas hésité à filmer, à l'instar du personnage réel, la mort de notre compagnon, emplie de douleurs, de solitude, d'horreur. Jusque là on pleurait avec le sourire. Le cyanure laisse un goût plus amer.
Il s'agit de l'un des meilleurs films de ces dernières années - en attendant Vera Drake, film morbide et vital de Mike Leigh. La mort clandestine - avortement ou euthanasie - est innommable, parce qu'indigne de note soi disante humanité, de notre soi disante civilisation évoluée. Les humains doivent aussi se cacher pour mourir?
Nous sommes aussi révoltés que Ramon. Intérieurement. Libéré, enfin. Liberté retrouvé. Un humain aspirait à une mort décente. La honte s'abat ainsi sur ceux qui se croient gardien du corps des autres, oubliant l'âme. Ce film n'en manque pas, poème à l'appui. Contre toute attente, Mar Adentro respire. Un grand soupir. Les larmes salées rejoindront la mer intérieur, pas très loin du coeur. vincy
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