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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Jarinko Chie (Kié la petite peste)
Japon / 1981
09.02.05
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LE CHAT GROS AMBULANT
"- Recherche serveur qualifié, poli… ne lisant pas de mangas"
Les jolies plantes comme les belles toiles ne flétrissent jamais. Pas plus que les joyaux cinématographiques. En dépit de toutes les bonnes intentions, se pencher sur un "manga" 20 ans après sa création et son exploitation au Japon pouvaient à l’évidence laisser perplexe. Au pire indifférent. La redécouverte, trop souvent indigeste et salement rétro, d’épisodes d’ "Ulysse 31" ou des "Chevaliers du zodiaaaqueuuuuh" avait amocher le petit Esteban qui demeurait en chacun de nous. Les Dieux du cinéma ayant eu depuis, la lumineuse et céleste idée d’en rajouter une couche en créant Pixar et Le voyage de Chihiro. C’était sans compter sur la persévérance et la longévité d’un petit bout de chou d’à peine 6 ans. Et ignorer plus encore le talent monstre d’un artiste coupable entre autres de Horus, prince du soleil et du bouleversant Tombeau des lucioles.
A mille lieues du drame élégiaque ou de la quête spirituelle, le quotidien de Kié lui, charrie les épreuves et humiliations propres à une enfance "à part" : le père qui n’en est pas un, l’absence physique et morale de la maman jalousement admirée auxquels s’ajoute la cruauté des camarades de classe autant que la bêtise des adultes. Mais à défaut d’en pleurer, Isao Takahata choisit d’en rire. Sans moquerie ni méchanceté. La manière toute ridicule – et lamentable – de Tetsu à endosser d’un coup d’un seul l’habit du papa attentionné puis celui du pré adolescent instable et bagarreur sous les yeux médusés et humides de Kié sont autant de prétextes à la farce et au burlesque. Il n’en faut pas moins pour que l’imagerie traditionnelle du manga (visages surdimensionnés, larmes à flot, etc.…) n’envahisse l’écran. A la grande joie des spectateurs à culotte courte.
Refusant de courir un seul et même lièvre, Takahata saborde l’histoire principale en une multitude de portraits aussi insolites qu’étonnants. Le générique initial – un vrai bonheur – construit comme un court métrage stylisé où déambulent les principaux protagonistes du film sonnait déjà comme une mise en bouche des plus appétissante. Rien ne manque : l’ex chef Yakuza acariâtre reconverti en pitoyable cuisinier à crêpes, l’instituteur retraité, alcoolique et tortionnaire, la grand-mère centenaire championne hors catégorie au lancer de rouleau à pâtisserie... Pour parfaire davantage l’hystérie et le grand guignol ambiant, Takahata élabore un univers où les matous et autres boules de poils s’affrontent aussi sauvagement qu’une cohorte de samouraïs mal embouchés. Le décès de l’infâme Antonio des suites d’un âpre combat à mort et la perte tragique de son testicule droit assureront la gloire et la pérennité à Kotetsu, le fidèle compagnon de Kié. Le tout atteignant son paroxysme grâce à l’apparition soudaine d’un Antonio Jr. revanchard et d’un duel final éloquent, sorte de clin d’œil malin à Kurosawa. Tout cela sans vulgarité.
Mais à toute bonne histoire ses larmes. Les escapades de Kié en compagnie de sa mère et les retrouvailles des deux parents cèdent la place à un discours plus terre à terre et simpliste, les japonais ayant, à tort ou à raison, une façon bien naïve et édulcorée d’aborder les rapports familiaux. La persistance des traditions séculaires notamment entre hommes et femmes laissera perplexe les occidentaux que nous sommes. Cette opposition culturelle ne doit pourtant rien enlever à ce formidable et ambitieux projet. Malgré l’apparence grossière et caricaturale de ses personnages, Kié la petite peste n’a rien de la production au rabais. Au traits volontairement enfantins et colorés s’ajoutent d’autres bien plus complexes de la ville Yokohama et des innombrables décors du film. Même son de cloche du côté d’une mise en scène plus qu’efficace qui alterne avec sérieux, les ellipses poétiques, les plans composés (mouvements de caméra, profondeur de champ) dans un rythme soutenu et accessible à tout un chacun. L’hommage de Takahata à un célébrissime héros japonais valant à lui seul le détour. Cet éblouissement constant a permis de préserver la vitalité et la jeunesse d’une petite peste insolente, aujourd’hui presque trentenaire, sur qui le temps ne semble décidément pas avoir de prise. Au public français maintenant de lui offrir un accueil digne de ce nom. jean-françois
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