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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Sideways
USA / 2004
09.02.05
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PEU DE CUISSE, PAS BOUCHONNE ET BIEN EN BOUCHE
"Pouvez vous me dire où sont les toilettes?
- Juste derrière le bison."
Alexander Payne quitte son Nebraska natal pour s'aventurer sur les chemins de traverse qui mènent à Hollywood. Loin du brouhaha de la cité des anges, il vadrouille entre San Diego, la paisible Beverly Hills et les vignobles voisins. Comme s'il n'était pas prêt à se confronter directement à l'industrie du cinéma, et à sa capitale. Cette impression de refus s'illustre aussi dans l'image, délavée, presque terne. Réminiscences des années 70. Ca louche même du côté d'un cinéma bavard et intello, pour ne pas dire "allenien". Clin d'oeil : notre anti-héros lit ne New York Times. C'est plus chic, et complètement décalé sous ce ciel gris pollué. Loin du bleu californien, ici réduit à l'état de fantasme. Proche du blues américain.
Car, Californiens ou Nebraskiens, ils se valent tous. Pour peu qu'on soit un recalé dans ce monde superficiel, un retraité veuf ou un enseignant divorcé, Payne prouve qu'il n'est pas facile de vivre dans ce pays sans racines. Alors on dialogue avec un orphelin africain ou ici avec les vins européens. On subit le marketing, l'opulence à crédit, les corps liftés ou sculptés. Le drame devient un nez cassé pour une belle gueule. Le décor est une civilisation en toc où des groupes de moutons se promènent en baskets et casquettes, sans allure, dans des vignobles comme à Disneyland. L'Américain moyen peut avoir la prétention d'être subtil et oenologue, il n'en paraît pas moins plouc et grossier, mal fagoté, bouffant n'importe quoi, tout en dégustant des vins différents n'importe comment ("- Tu mâches du chewing gum?")... Et si vous ne suivez pas le Guide, des panneaux sont là pour vous rappeler que les animaux sont interdits, que cette route est une impasse, que des choses ne se font pas, ne se disent pas. La censure est partout, jusque dans nos têtes. Il faut avoir la "positive attitude" dans ce pays, ce qui ne résout rien, finalement. Il n'y a pas de place pour les quadras bedonnants chauves et littéraires dans cette Amérique MTV. Tout est factice et donc décalé pour un homme incapable de mentir ou de maquiller ses émotions avec des politesses hypocrites.
Payne aime dépeindre ces personnages qui sont révoltés, intérieurement et extérieurement, contre un système, un formatage. Cela sous tend toute son oeuvre. Sans pitié pour ses compatriotes, il transforme son personnage principal en victime pathétique, solitaire et névrosée. Pas forcément sympathique d'ailleurs. Pour la première fois dans son cinéma, il quitte les chemins du simple portrait pour raconter un dialogue impossible, inexplicable mais essentiel. Cela pourrait être une fable de La Fontaine : le cérébral et le burné, l'angoissé et le jouisseur. Le premier collectionne les souvenirs et les bouteilles, le second refuse les responsabilités et boit pour s'enivrer. A leur manière, ils fuient la réalité. Ces deux hommes de 40 ans et plus voient le temps passé. Et contrairement au vin, ils ne sont pas sûrs de bien vieillir. Losers, ces deux copains nous montrent que l'amitié emprunte parfois des voies tortueuses. Ils n'ont rien en commun, et ce qui les rapproche est ce qui les oppose. Ils s'envient l'un et l'autre. Ils ont cette impression d'exister grâce à l'autre, chacun y trouvant de la lumière. L'enseignant, oenaniste adepte de revues pornos, étalant son savoir oenologique, a besoin de ce copain de fac, inculte sûr de lui et dragueur. Cela lui permet de se sentir un brin supérieur et de rencontrer des filles. L'ex-star de soap opéra, qui préfère tirer son coup que de se doper au Xanax, sait qu'un pote aussi savant, aussi intelligent, ne peut que lui être utile pour épater les conquêtes au dîner. Il y a une mutuelle admiration, doublé d'une forme de solidarité. Mais pas forcément de compréhension : "Je dois vivre des trucs que tu comprends pas. Tu comprends la littérature, le vin, le cinéma, mais pas mon putain de dilemme." Belle métaphore pour deux Amériques qui ne se comprennent plus. Mais s'apprécient toujours.
Alexander Payne ne s'adresse qu'à celle qu'il aime : celle du Pinot Noir. Rare, cultivé dans certains endroits seulement, cépage réclamant de l'affection et de la patience. Le Cabernet est l'élément comique du film : commun, puissant, exubérant, populaire. Le vin agit ici comme un miroir de nos personnalités. La description fait auto-portrait. On parle du vin, comme on parle de nous. A 43 ans, un Cheval Blanc est à son apogée, juste avant l'inéluctable déclin. A l'instar de notre personnage principal. In Vino Veritas. L'homme peut-il renaître? En tout cas l'élixir, ce cheval Blanc 61, a de l'effet. Même bu avec un horrible hamburger, ce grand crû va lui donner le courage nécessaire pour ouvrir la porte d'une nouvelle vie.
Le vin agit alors comme une potion magique sur l'ensemble du film : il délie les langues, explore les subconscients, réveille les idées noires. Il éclaire le côté obscur de chacun. On peut toujours faire l'autruche (il y en a dans le film!) en se noyant dans l'ivresse. Il voyage dans nos esprits au fil des routes et de leurs méandres. Si Sideways est un peu bavard et pas très novateur dans le style, moins acide que les précédents opus du cinéaste aussi, il reste le goût d'un film léger et gouleyant. La musique jazzy, les comédiens (tous parfaits), l'humour chic et les confessions existentielles nous réconcilient avec un cinéma américain très bien écrit. Payne maîtrise toujours aussi bien son sens du burlesque. La somme de petits détails loufoques - et si crédibles - de gags dignes du cinéma muet (et c'est un compliment) nous emballent facilement dans ce circuit psychologique, pas chiant. Carnets de voyage où chaque jour est un petit chapitre, inégal, certes, mais avec des filles et du pinard au programme. Y a pire, malgré les baisses de tensions certains jours. On ne peut que rire devant la séquence de la Guerre du golf (avec un clone de Schwarzzy en héros) ou face à ces deux potes entachés, l'un de sang l'autre de vin. Mais n'est-ce pas la même chose?
Nous sommes presque heureux de voir que ce genre de films puissent encore séduire. Mais Payne doute, malgré tout, de son avenir. Si un éditeur n'est plus capable de publier un roman de 751 pages ("- Plus personne ne prend de risque. Il ne s'agit pas de littérature. Mais de marketing."), n'en est-il pas de même pour le cinéma? Ce film parle de la difficulté à vieillir, à s'adapter à un monde cruel et injuste, à s'élever culturellement dans une civilisation du mauvais goût, à aimer, tout simplement. Mais comme on n'ouvre pas un vin pour une occasion spéciale puisque c'est le vin qui est l'occasion spéciale, il faut considérer qu'il ne faut pas aller au cinéma en attendant des événements, des chefs d'oeuvre ou un film de notre vie, puisque c'est aller au cinéma qui constitue l'événement, qui contribue à notre vie. Aussi, même si le vin n'est pas un grand Bordeaux ou un Bourgogne extraordinaire, on se dit que la bouteille est à moitié pleine : "Verse Coco!"
vincy
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