Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Million Dollar Baby


USA / 2004

23.03.05
 



L'OMBRE DE DIEU, LA GLOIRE DU DIABLE





"- Tu as fais deux erreurs. La première est de poser une question. La seconde, tu en as posé une autre."

Nous allons essayé d'en dire le moins possible. Car ce film recèle quelques mystères qu'il est essentiel de ne pas dévoiler. Cela fait longtemps que Clint Eastwood est considéré comme l'un des plus grands cinéastes américains, succédant aux Ford ou Huston. A chaque film, il propose sa vision de l'Amérique, pas forcément glorieuse, toujours sous l'emprise de ses démons : la violence, la quête d'identité, les dilemmes moraux...
Million Dollar Baby ne fait pas exception. En revanche, le film est exceptionnel. Ou quasiment. Si le film n'était pas si long, notamment sur la fin, nous aurions frôlé la perfection. De plus, Eastwood ne cherchant plus à nous bouleverser, notre émotion est un peu en rade après tant de plaisir cérébral. Que cela ne gâche pas votre envie de voir du vrai cinéma.

On nous raconte une histoire. Les faubourgs peu reluisants de Los Angeles. Un hangar transformé en salle d'entraînement. De la sueur, des chiottes éclairés aux néons, rien de brillant. Une voix off, celle de Morgan Freeman, posée, rocailleuse, chaude nous invite dans ces bas fonds. Il est le regard extérieur sur cette relation père/fille, dont il fut l'entremetteur. Juste, sincère, franc, lucide. Le comédien est en état de grâce, apportant une douceur bienvenue dans ce film de gars. Fille compris. Swank prolonge en effet son jeu androgyne et peu glamour, débuté avec Boys don't cry. C'est le premier thème du film. La famille, selon Eastwood. Recomposée. Deux gars, une fille. ll est plutôt jouissif de voir ces deux vieux lions, fatigués, complices, se chamailler pour l'argent des courses et des chaussettes trouées. Ce "couple" de papas poules et leur fille adoptée ("My darling, my blood") forment avec brio, un trio crédible. Et pour mieux souligner la force de cet assemblage, le cinéaste montre que les liens du sang n'ont pas la même intensité. La vraie fille du personnage d'Eastwood est aux abonnées absentes pour des raisons inexpliquées. La blessure est visible, injuste. La véritable famille de Swank nous révolte facilement : cynique, cupide, beauf. Des charognards en shorts qui préfèrent visiter Disneyland que rendre visite à la boxeuse, pourtant principale source de revenus. Eatswood n'est pas tendre et méprise ouvertement ces consuméristes incultes. Surtout il démontre sans efforts que la famille n'a rien avoir avec les gênes. Il avait déjà abordé plusieurs fois le sujet (Créances de sang, Un monde parfait...).

A ce film à contre-courant d'Hollywood, s'ajoute un débat de société, comme les aime Eastwood. Loin des requiems d'Impitoyable (Ford) et Mystic River (Huston) où il explore les instincts de pionniers de ses congénères, le cinéaste s'est attaqué à une vision progressiste à l'image de Jugé coupable, Minuit dans le jardin du bien et du mal... avec l'euthanasie, ou plutôt les interrogations liées à l'acharnement thérapeutique. "Ces docteurs y connaissent que dalle sinon pourquoi ils seraient dans le désert?" La phase terminale paraît interminable. Le film prend son temps. Peut-être parce que la réflexion nécessite de la patience. Dans cet ultime match où personne ne gagnera un seul round, il y a d'un côté une victime, un légume humain. De l'autre une médecine prête à tout : recoudre, amputer, endormir.... Plane alors la fin de Vol au dessus d'un nid de coucou... Contrairement à Mar Adentro, la fin n'est pas inéluctable. Le choix n'est pas certain. Il s'agit d'une prise de conscience. Un dilemme moral. Un geste d'amour. "J'ai eu assez." Il n'y a plus de rêves. Plus d'envie de se battre. Juste le désir d'alléger une souffrance, y compris morale. La victime est définitivement K.O. Et l'arbitre? Dieu est mal placé, un peu subjectif pour le coup. De quoi perdre la foi. Quand on demande de l'aide à Dieu, on nous promet la damnation éternelle, les flammes de l'enfer. De quoi rendre agnostique devant si peu d'intelligence. Et Clint Eastwood, soigneur de son état dans le film, nous défie : lui qu'on qualifiait il y a encore dix ans de réac, nous vend l'idée qu'une mort assistée est peut-être la meilleure des fins... Il soigne les bleus, même ceux à l'âme?

Cependant, pour en arriver là, il faut une grande maîtrise, une expérience, du vécu. A chaque film, sa vision de plus en plus sombre, apporte à sa filmographie une oeuvre de plus en plus crépusculaire. La mort rode. Après avoir abordé la maladie, les remords, Eastwood conjure-t-il le sort? Les visages sont rarement éclairés par une lumière frontale, laissés partiellement dans une zone d'ombre. Les mots sont rares, le jeu passe dans les regards, les non dits, les silences. Cette subtilité, si rare aujourd'hui dans le cinéma américain, trouve son illustration dans une image élégante, un cadrage sans effets. Le film est fluide, enchaînant progressivement le rythme du triptyque - la rencontre, la dépendance affective, la chute. L'agonie ressemble ainsi à une bougie en fin de mèche, accélérant les fondus au noir au fur et à mesure que les battements de coeur vont s'arrêter. Tout vient et s'en va lentement. Parabole d'une existence.

Le film, comme la boxe, est plus une question de ballet et d'endurance, que de coups. Un blues dur et saignant, certes, car les gars aiment les mises à mort, mais aussi, surtout, un testament sur la vie. Le réalisateur délivre ainsi son message. La magie de tout risquer pour un rêve inaccessible. L'enjeu d'y croire. En opposant un vétéran qui n'a plus la foi (en lui, en Dieu, en l'autre), qui veut trop se protéger, et une gamine qui n'a que ça et qui gère tout en un round (sa vie comme ses matchs), sans peur au ventre, il explique en quoi tout est irrationnel, puissant, physique et mental. Putain de passé, putains de blocages! Le cinéaste, lui, semble s'en être libéré. Il fournit là un film plein de drame, de sentiments, d'humanisme. Avec une dose de suspens lors d'un match ultra violent entre deux tueuses, une teigneuse et une vicieuse. sans omettre quelques pincées d'humour, notamment cette succession de K.O., cocasses. Million Dollar Baby ne plombe pas complètement.

Parce qu'il y a un zest d'espoir, une grosse décharge de vie. Le film raconte l'histoire d'une ascension, possible, avec une égalité parfaite, qu'on soit noir ou blanc, fille ou garçon. Dans cette Amérique des individualistes qui sont l'attraction contre celles des assistés en spectateurs, ceux qui se battent et ceux qui prennent 80 kilos en ne foutant rien, on a vite choisit son camp. Il y a un juste milieu à définir entre celle qui ne se protège pas (sur le ring comme dans sa famille) et celui qui se protège trop (et s'isole du monde). Pour Eastwood, le problème ne se pose plus ainsi. Il n'a plus rien à prouver. Il a juste à trouver un lieu entre "nowhere" et "goodbye" avec une exquise tarte au ciron, si divine qu'on peut y attendre la mort. Ou quelques Oscars.
 
vincy

 
 
 
 

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