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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Gong Fu (Crazy Kung-Fu, Kung-Fu Hustle)
/ 2004
08.06.05
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WESTERN NOUILLES SAUTEES
"- Ne me force pas à me battre. J'ai peur de moi quand je me bats!"!
Si Shaolin Soccer nous avait divertit gentiment - à cause d'une naïveté un peu puérile et des effets spéciaux relativement grossiers - Kung Fu Hustle nous a scotché sur le siège. Maîtrisé. Flamboyant. Foisonnant. Le film, de la pure épate, rend hommage au mot spectacle. Avec un perfectionnisme qui faisait défaut à Shaolin Soccer, KFH prouve la montée en puissance du cinéma chinois dans la catégorie "blockbuster" et dévalorise le pillage du cinoche asiat' des Tarantino et autres Wachowsky.
Coup double donc. Et pour nous, grand huit. Car le plaisir est proche des sensations d'une attraction ludique fournissant une bonne dose d'adrénaline. Le délirium est total. Stephen Chow reprend sa trame scénaristique favorite : un gars d'en bas, paumé et prêt à voler pour survivre, trouve sa voie à travers un don "surnaturel" qui en fait "l'élu" et le met sur le chemin de la rédemption morale. Et surtout lui trace une autoroute vers la gloire et le statut de super héros. Rêve primaire de gamin ou ambition de sortir de sa classe d'origine... Stephen Chow ne fait pas forcément dans la subtilité psychologique. Aussi son approche s'inspire davantage du cartoon et des feuilletons télé. KFH suit les mêmes chemins que Shaolin Soccer : l'amour idéal est une jeune fille fragile et victime, symbolisant les sentiments purs de l'enfance et imprégné de précarité sociale du monde adulte. Mais KFH gagne en épaisseur, en dimensions, grâce à sa galerie de personnages secondaires. Dans ce monde violent et agressif (économiquement, humainement), tout le monde est croqué comme une caricature. Et nous sombrons avec délectation dans un univers burlesque. Proprio acariâtre avec bigoudis et clope au bec, son mari coureur de jupons mais humilié à la maison, commerçants tantôt efféminé, tantôt cul nu dans la fontaine... Dans cette cité en U - décor principal parmi d'autres magnifiques - avec hiérarchie pyramidale, le peuple est la vedette. Prolos et commerçants, aucun nantis pour se défendre d'une triade clairement opulente et peu respectueuse des lois.
Cette fougue démocratique (l'autorité est absente pour ne pas dire ridiculisée dès la séquence d'ouverture) montre bien que le fantasme n'est pas tant de trouver le Messie que de réunir les forces vitales pour combattre toute forme d'oppression. Sans perdre de temps, et en respectant un tempo frénétique, le scénario avance vers sa conclusion inéluctable, entre gourou et Kung Fu, entre foi et coup de latte. Car KFH ne serait rien sans l'art chorégraphique. La scène introductive, entre comédie musicale et BD, montre que la frontière entre la danse et l'art marial est ténue. Ballet de jambes, précision des gestes, équilibre des corps : tout se balance de la même façon. Grands angles et mouvements amples, les caméras donnent de l'élégance et de la majesté à l'action de ses protagonistes. Tous les effets sont permis. Peu importe la façon, pourvu qu'on ait l'ivresse.
La qualité cinématographique, parce que le film est généreux humainement et riche de son allure romanesque (pour ne pas dire chevaleresque), procure du coup une jouissance rare; d'autant plus que le film n'a rien de profond. Mais il n'est jamais superficiel ou vide, à l'instar des productions hollywoodiennes. Il parvient à décrire une atmosphère fascinante, à s'enthousiasmer pour des personnages bourrés de défauts. Là où Kill Bill se perdait dans une surenchère vaine de dérision, de violence et de combats, KFH préfère le pastiche, le caustique italien (y compris scato), le détail qui tue (il suffit qu'une paire de baskets glisse de 5 centimètres sur la gauche pour éviter un assaut), et un peu de magie pour embellir les coups. La mise en scène repose alors sur un découpage extrêmement précis, un montage sans pause, et une absence de cuves d'hémoglobine. Chow montre qu'on peut tuer un Bill sans passer par la case violence gratuite, qu'on peut affronter des agents Smith en insérant du réalisme et de l'humour. Cette orgie visuelle, où la comédie s'envoie en l'air avec l'action, où le personnage principal serait une synthèse de Bruce Lee et Jackie Chan. Avec un plus beau look en bonus. Et une partition musicale qui flirte avec les airs de Gerswhin, les musiques de Fellini, les mélodies chinoises traditionnelles... Un vrai bonheur pour les oreilles qui rend le film plus harmonieux dans ses influences presque trop variées.
Tandis que les Américains s'inspiraient de 30 ans de mangas, western spaghettis et autres films made in Hong Kong, Chow déterre les racines de son cinéma, ajoutant de la fantaisie, ne se détournant jamais de sa culture propre. Sa réalisation démontre que les Chinois peuvent faire aussi bien - si ce n'est mieux - que leurs rivaux. KFH, dans la lignée des Tigre et Dragon, Secrets des Poignards Volants et autres Héros, n'est jamais qu'une nouvelle pierre à l'émergence d'un cinéma chinois populaire, prêt pour une internationalisation de son public. Tout le monde, désormais, préférera les originaux (comprendre les cinglés ou les singuliers) aux copies pirates hollywoodiennes... vincy
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