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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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The Island
USA / 2005
10.08.05
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ILE PAS TENTANTE
"- Lincoln ça va?
- Il me manque une chaussure."
Qui a massacré ce projet? L'idée de départ avait tout pour en faire un film d'anticipation marquant. Pensez des clones qui se révoltent contre leurs commanditaires!
Et si au départ tout semblerait presque crédible (genre Minority Report sur lequel il louche vraiment en attendant le coffret Dreamworks pour les promotions DVD), le dernier tiers assassine tous nos espoirs éventuels (parce que nous refusons d'avoir des préjugés) sur le talent de Michael Bay, aussi virtuel que ses images. Images dont on nous satures, devenant à la fois indigestes et vides, du cinéma de fast food : ça gave et ça ne nourrit pas. Michael Bay ne sait rien faire d'autre que plagier (Matrix, Orange Mécanique, Gattaca) et jouer avec sa console de montage pour créer un rythme (frénétique ou lyrique). En idolâtre de la publicité (jusqu'à faire de l'un de ses personnages une égérie narcissique d'une grande marque), il nous remixe Manpower ou British Airways (façon années 90) sans apporter un contenu ou un sens à ce déluge visuel.
Tout cela ne serait pas bien grave s'il maîtrisait son sujet, y apportait un point de vue, et finalement portait un regard autrement que binaire sur cette histoire de clones tristes. Or, la seule chose qui fait mouvoir Bay est ce diktat du mouvement au détriment du sens à donner. Le film s'il tire bien ses ficelles dans une première moitié, devient un pantin désarticulé, s'agitant avec maladresse pour créer des sensations fortes (aidé par un son tyrannique), qui va se crasher dans la bêtise hollywoodienne. Ne pas s'étonner que les productions américaines ne séduisent plus : elles ne surprennent plus.
Comment croire encore que nous pouvons tout gober? Exemple. Un grand scientifique ET dirigeant d'entreprise (la fonction est rare) qui se transforme dix minutes avant la fin en sale tueur se prenant pour Dieu... Pauvre Sean Bean, toujours cantonné aux rôles de salauds. Il fallait bien un ennemi. Autant le créer facticement, sans aucun fondement psychologique. Un bon ennemi est un ennemi mort. Pas de justice, pas de pardon. C'est là que The Island ne se détache pas d'une morale américaine discutable.
L'enfer est le postulat de base, le décor permettant chaos et se complaisant dans la théorie de la destruction (voitures, immeubles, machines...), comme s'il s'agissait de jouets que l'on pouvait casser. Puis, le moment de trop : nos héros - indestructibles eux - survivent à une chute vertigineuse improbable, et un prolo leur sort "Jésus doit vous aimer!" De l'apocalypse on passe à la grand messe. Peu importe l'action pourvu qu'on ait l'ivresse. Les clones seront prêts pour la transe après avoir vécu dans les ténèbres, certains ayant échappés de peu à la chambre à gaz (heureusement un rescapé d'un génocide africain va les sauver, alleluiah). Dans ce grand mix des souffrances de l'humanité, le clone n'est donc pas en reste. Les "bad boys" sont presque transformés en commandos pro IVG. Heureusement, il sera libéré, sauvé même, et trouvera la Lumière dans un grand mouvement de foule sur fond de musique faussement baroque. Tout ici est binaire : les noirs sont méchants, les blancs sont gentils; tout personnage trouble ou ambigu est vite évacué ; pire, de la complexité originelle du sujet naît une solution simpliste où chaque être vivant est ... un être vivant. Rien à voir avec le final d'un Houellebecq autrement plus audacieux et humain (Les particules élémentaires).
Dans ce gloubiboulga scénaristique, dialogues insipides - pour ne pas dire nuls - inclus, personne n'a songé à créer des situations troublantes et dérangeantes, mais intéressantes (on évite ainsi la rencontre entre Jordan le clone avec Jordan le top model dans le coma et celle entre Lincoln et son "commanditaire" tourne à la farce). Tout est zappé, au nom d'une machine infernale qui s'emballe vers un happy end grossier, versant dans la surenchère explosive et bruyante. Le film, parfois ultra violent, ne sait faire autre chose que saccager... Le sexe est évacué par une interdiction de promiscuité (c'est dans le règlement) et une innocence de gamins de 15 ans (c'est dans le script).
Pourtant il faut sauver ce qui peut l'être. A défaut de maîtriser notre attention, il sait gérer une tension maximale. Le Los Angeles de demain est fascinant, clone du Washington futuriste de Spielberg. Mais surtout, Bay a la chance d'avoir eu, pour une fois, le sens du casting. Les acteurs (de McGregor à Hounsou, de Johansson à Buscemi) ont du charme, et facilite à supporter ces inepties. Il faudrait songer à rajouter des neurones aux auteurs. A moins qu'ils ne s'identifient à ces clones, dont la maturité est celle d'ados conditionnés par des rêves virtuels.
The Island n'est finalement rien d'autre qu'un jeu vidéo se croyant intelligent parce qu'il traite d'un sujet passionnant. Cela reste un produit McDo. Et comme le dit si bien Buscemi : "Manger un hamburger n'incite pas à rencontrer la vache."
vincy
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