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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Batman Begins
USA / 2005
15.06.05
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CAPE DE BONNE ESPERANCE
« Pour manipuler la peur chez les autres tu dois d'abord maîtriser la tienne ».
J'ai peur, tu as peur, Anakin a peur, Bruce a peur, nous avons tous peur. La peur au centre. C'est en tout cas ce qu'on retient en sortant des deux premières grosses productions de l'été, Star Wars, la revanche des Siths et Batman Begins,qui racontent toutes deux l'origine d'un mythe. Mais alors que le jeune Skywalker, dominé par ses hantises, passe du côté obscur de la Force, le jeune Wayne sublime ses traumas pour faire le Bien. Il doit pour y arriver suivre un chemin long et tortueux, des bas-fonds de l'Asie aux sommets enneigés du Bhutan.
C'est là que l'un de ses pères de substitution, Ducard, interprété tout ennuances par Liam Neeson, fera son apprentissage mental et physique. La subtilité des profils psychologiques, probablement l'une des grandes réussites deChristopher Nolan dans cette réappropriation du « chevalier des ténèbres »,apparaît déjà dans le premier quart du film à travers ce personnage ambigü :lui-même traumatisé par un passé douloureux, Ducard donne à Bruce la clé de ce que sera Batman, en lui apprenant le fonctionnement de la peur (On craint toujours ce qu'on ne comprend pas - Ce dont tu as le plus peur est en toi").
Persuadé d'être du côté de Bien, Ducard, mène une croisade sans pitié contre le vice et la corruption à travers une justice plus qu'expéditive ("Le criminel se nourrit de la compassion de la société ») qui n'est pas sans rappeler
Les réseaux fascistes et les gouvernements extrémistes qui terrorisent l'ensemble de la planète aujourd'hui.
Pari réussi également que le choix de Christian Bale pour interpréterle justicier un peu psychopathe et plein de contradictions qu'est Batman. L'ex American Psycho (Patrick Bateman le bien nommé) bien que peu loquace -
forcément, il reste tout de même un super héros relativement classique – incarne un Bruce Wayne qui se cherche, transformant au fil du temps ses sentiments mêlés
(peur, angoisse, culpabilité, colère) en une force du Bien, pourtant loin d'être manichéenne. Il est guidé vers cette voie par un autre père de substitution, Alfred le majordome, servi par l'humour très british (et donc très
réussi) de Michael Caine ; et par Rachel Dawes, son amie d'enfance, qui lui rappelle quand il est sur le point de déraper que « la justice transcende la vengeance ». Katie Holmes ne fait pas des étincelles dans ce rôle mais on dira à sa décharge que le personnage de Rachel Dawes laisse peu de place à la fantaisie… On n'oublie pas non plus Morgan Freeman et Gary Oldman, autres personnages secondaires bien solides et qui apportent à point nommé
leur bonhommie pour alléger une atmosphère généralement assez sombre et grandiloquente.
Autre « personnage central » de Batman Begins, la ville. Christopher Nolan filme ici un Gotham city sombre à souhait, fumant littéralement le vice et la corruption. En son coeur se trouve le point névralgique du Mal, l'asile
Psychiatrique d'Arkham où officie le diaboliquement beau Dr. Crane. Epouvantail effrayant, il a mis au point un gaz paniquant aux effets hallucinogènes assimilable à une sorte d'arme bactériologique imparable, et préfigure
audacieusement la ribambelle d'affreux grimés que devra plus tard affronter Batman : le Joker (joliment annoncé à la fin du film), le Pingouin, Double Face,Mr Freeze... La Ville est empoisonnée jusqu'à la moelle, jusqu'à la
Wayne Tower où s'employait jadis à faire oeuvre le bien le père de Bruce. Mais la Wayne Enterprises est devenue une multinationale côtée en Bourse et dirigée par des hommes sans foi ni loi. Le capitalisme sauvage y règne en maître et le licenciement guette tous ceux qui ne vont pas exactement dans le sens de cette machine impitoyable. L'Homme, l'Humain y a perdu le contrôle. Politiquement, Nolan profite du comic book pour esquisser un système ultralibéral et injuste aux déréglages qui ne sont pas sans évoquer ceux qui secouent notre monde contemporain, réintégrant définitivement le super héros dans un réalisme moderne tout en suscitant un brin de nostalgie pour l'époque du New Deal et autres modèles keynésien.
Le seul endroit à ne pas être gangrené est bien sûr le Manoir des Waynes, où Alfred reste le gardien de la bonne parole paternelle (« Pourquoi tombe-t-on ? Pour apprendre à se relever », trois fois répétée comme un slogan qui
Doit rentrer dans nos petites têtes). Là, sous terre, se cache la batcave, qui d'une grotte sombre et suitante d'humidité, devient sous nos yeux un extraordinaire
laboratoire. Les fans de gadgets jubileront d'y voir testés tous les joujoux de Batman, sans oublier la rugissante Batmobile, qui ne décevra personne(sauf
peut-être les écologistes peu adeptes de tout terrain).
Christopher Nolan livre là encore une fois une vision rationalisée de l'homme chauve-souris : c'est bien
un super héros, mais c'est avant tout un homme comme les autres, qui arrive à ses fins à force de volonté et d'entraînement. Loin de l'icône impénétrable et
torturée, Batman louche dorénavant sur la figure accessible d'un Spider-Man et de ses turpitudes (succès oblige). C'est pourquoi il n'aura intrinsèquement aucun
pouvoir surhumain : son premier vol d'un immeuble à l'autre se solde par une gamelle monstrueuse, ses armes sont des objets fabriquées dans le monde réel,
pour l'Armée en général, par le département des Sciences Appliquées de la Wayne Enterprises. Avec un peu de jugeotte et l'aide de Lucious Fox (Morgan Freeman,),
Bruce Wayne saura en faire une panoplie hors du commun, sans laquelle Batman ne serait plus Batman. A la manière de Spiderman, Warner a bien compris la leçon de
Sony, le héros a non seulement eu le droit à sa thérapie psychologique(mon enfer de héros, mes tourments et mon amour impossible), mais aussi à la mise en scène de ses failles (on ne s'improvise pas homme volant ou ninja
invincible). Et même, le super héros doute et se demande si sa mission est juste, s'il est dans son droit, s'il n'y a pas une vie ailleurs que dans les sous-terrains
insalubres... Cette apparence de complexité suffit à ajouter le zeste de noirceur et de jeu d’acteur qu'il faut pour rendre ce genre de machines plus intenses qu'explosives. Fondamentalement, d'ailleurs, le cinéaste
évacue rapidement les combats pour se concentrer sur la construction et déconstruction psychologique de son personnage. Comme dans Memento et Insomnia.
Difficile de trouver à redire, donc, à ce récit des origines. Quelques lourdeurs, peut-être, dans la façon dont on nous assène les Vérités de l'histoire (notamment le rôle de la peur, qui aurait été tout aussi compréhensible dit avec davantage de subtilité) mais Hollywood reste Hollywood et Christopher Nolan se garde de s'isoler d'une audience populaire en négligeant la vulgarisation du sujet, sacrifiant par ailleurs à la dose de pure adrénaline nécessaire, sans toutefois concéder d'heures sup' (ce qui vaudra quelques séquences d'action un peu confuses). Il restera cependant, entre autres, commele réalisateur qui aura amorcé un retour vers la qualité des deux premiers Batman après une série de ratés véritablement impressionnants. Plus qu'une résurrection, c'est à une réappropriation du mythe que l'on assiste. La performance mérite d'être saluée. asha
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