Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Blood and Bones


Japon / 2004

20.07.05
 



MON PERE CE BOURREAU





« La grognasse l'a trop gâté, le prochain fils que j'aurai, je l'élèverai moi même »

Enième épopée historico familiale à la chronologie s’étendant sur plus de soixante ans et compilant son lot de drames et de joies, Blood & Bones, s’il n’évite pas les longueurs romanesques inhérentes à l’exercice, situe la barre beaucoup plus haut que le simple feuilleton. En effet, l'intérêt majeur du film se matérialise rapidement dans le portrait de Shunpei, un individu à la force de caractère phénoménale mais aussi dans le témoignage de l'influence dominante que celui-ci s’appliquera à exerce sur toute une communauté soudée par des intérêts multiples, lien du sang ou instinct de survie.
La violence irrigue toutes les actions de Shunpei, que ce soit au sein du foyer ou dans son travail. Rustre et instinctif, il incarne une figure archaïque, animée d’un machisme ancestral, qui régit l’existence de ses proies vulnérables. Sa conception de la féminité est des plus basiques, ainsi, lui arrivera t-il de rentrer tard, imbibé d'alcool, de prononcer des mots saccadés et brefs puis, pris d'une pulsion animale, de se jeter sur son épouse et de la violer devant les yeux de leur fille en bas âge. Dans le déchaînement de la chair crue souvent initié par un « à poil » lapidaire, le personnage exprime la violence et son attrait viscéral pour l'accouplement dénué de toute nuance érotique. Les douleurs physiques infligées aux femmes tout au long du film ne cesseront qu'en une occasion, alors que Shunpei s'occupe de sa maîtresse victime d'une tumeur cérébrale fortement invalidante. Les soins ne semblent toutefois pas tant dictés par une étincelle de bonté que par un souci de préserver l’unité du clan qu’il a établie selon ses propres règles. Une manière de prouver sa suprématie face à l’adversité, la dégradation de son entourage. A l’image de son goût immodéré pour la consommation de charogne, l’ogre se repaît du malheur d’autrui, perçu comme autant de stimuli intuitifs de sa force vitale personnelle.
Comme tout animal chef d'une meute, la confrontation avec l'autre pour marquer le territoire fait partie des rites initiatiques obligés. Quelle meilleure bataille que de s’empoigner avec son fils en absence de tout sentimentalisme parental? L'homme, qui clame être le fils issu d'un viol que Kim aurait commis quelques années auparavant, a tout d'un yakuza, et de par ce statut, il gagne le respect de Kim qui trouve en lui un rival à sa taille au sein du microcosme du quartier coréen. Ce curieux personnage est le premier à tenir tête à Kim. En outre, il passe le plus clair de son temps à copuler. Mais le grand frère de Masao est chassé lors d'un combat mémorable et la vie pitoyable du quartier et de la famille de Kim reprendra son cours. Masao en restera marqué à vie et ne s’opposera jamais frontalement à son père (incapable de le tuer au propre comme au figuré). Shunpei est devenu en effet « un mur trop imposant » pour lui. Il vivra le reste de sa vie en indifférence vis à vis du reste de la structure familiale pour se protéger. Cette dernière apparaîtra clairement, jusqu’à l’ultime image, comme une malédiction pour l’épanouissement de la personnalité de chacun.

La force de Blood & Bones réside dans l'attrait maintenu deux heures vingt durant pour ce personnage violent, si détestable et totalement dénué de compassion. Le scénario, bien qu’accablant le tortionnaire dans des mesures extrêmes, évite en effet de le réduire à un monstre psychopathe de série Z. Pour ce faire, la mise en scène privilégie un certain réalisme, ne grossissant pas les effets des séquences choc. Les coups sont secs, sourds, ils nous pénètrent sèchement comme la lame du couteau que Shunpei enfonce dans la gorge du cochon lorsqu'il procède au sacrifice traditionnel.
En adaptant cet exorcisme d’une tragédie vécue, Yoichi Sai ne livre aucune clé au sujet de origines de la violence du despote. La vie du personnage en Corée avant son arrivée au Japon nous est ainsi complètement occultée. Par ses exactions, essaie-t-il de faire payer à ses compatriotes le prix de leur trahison et de leur allégeance au Japon ? L'interprétation est laissée libre mais le retour en Corée de Nord à la fin de sa vie pourrait renforcer cette thèse. Mais on peut tout aussi imaginer que Shunpei ne fait que reproduire un système éducatif qu’il a lui-même subit.
Takeshi Kitano trouve là un rôle qui laisse exprimer toute sa rage et font passer la bestialité de Daniel Day Lewis dans Gangs of New York au rang d'un gentil amuseur de foires… Le visage marqué et le corps lacéré des blessures réelles de l’acteur, crédibilisent la présence physique du prédateur. Le choix de ce rôle semble évident en considérant la fascination portée par le comédien réalisateur pour l’autodestruction de ses semblables tout au long de sa filmographie. Dépouillée de tout humour (les rares sourires de Shumpei s’apparentant à des rictus) et de toute pause graphique propres aux bad guys amoraux qui l’ont rendu célèbre, son incarnation de la bête humaine reflètera cette fois-ci le mal à l’état brut du quotidien. L’occasion pour Kitano d’offrir une performance dense où la maîtrise de son jeu minimaliste s’intègre parfaitement dans l’ordre du plausible.

Rares sont les propositions cinématographiques récentes illustrant aussi bien que ce film la maxime selon laquelle « l'homme est un loup pour l'homme ». Ce drame s’apparente à une gigantesque blessure irisée d’une souffrance parfois un peu trop déliée. Mais l’auteur de la cicatrice occasionnée fédère par la démesure qu’il sait atteindre.
 
Redrum (+ PETSSSsss)

 
 
 
 

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