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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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La Ravisseuse
France / 2005
31.08.05
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LE LOUP ET LA BERGERE
"- Comme me le disais souvent mon père, une femme doit être une sorte de ministre de l'intérieur."
Si le cinéma français ne parvient pas à se renouveler dans la comédie ou le film de genre, il se sent encore d'attaque pour affronter n'importe quel drame ou tragédie romantique. Et Antoine Santana aime les drames, les tragédies qui parasitent le bonheur et la joie. Il aime ses moments qui s'interfèrent, améliorant l'ordinaire ou gâchant la sérénité; il filme les incidents du coeur et les accidents de la vie, qui, au final construisent une route menant à une fatalité souvent triste. Solitaire.
Vous allez me dire : "encore un film en costumes." Mais un film d'époque peut-être intéressant s'il fait écho à notre époque. En cela, La ravisseuse, outre le fait qu'il nous apprend certaines pratiques sociologiques oubliées de la fin du XIXème siècle, est un écho étrangement fidèle à notre société actuelle. Une bourgeoisie méprisante, une élite contrainte financièrement de s'expatrier, une précarité contraignant à des choix inhumains, un nouvel esclavagisme dus à des inégalités visibles, la délégation des tâches pénibles à des petites mains... Le couple Colin / Dequenne est le parfait prototype du couple bobo avec ses névroses, frustrations, ambitions inassouvies, entre schémas à reproduire, modèles à suivre, plus soucieux de l'image qu'ils donnent que du sens donné à leur vie. Un mari frustré et carriériste, une femme frigide et mondaine, leur enfant, instrument à leur épanouissement social.
Intéressant de voir ces bobos parvenus, pétant plus haut que leur cul, déléguer allaitement et autres fonctions "maternelles" à une nounou. Ne pas s'étonner que cet individualisme forcené et les injustices subies conduiront à un final proche de l'aliénation et d'une forme de révolution. Cependant, et c'est toute la faille de La Ravisseuse, l'histoire ébauche tous ces sujets, sans jamais les approfondir. Le scénario, pas assez nourrissant, a de la peine à faire exister les relations humaines autrement que par des faits, gestes, événements parfois trop contradictoires pour sembler cohérents. Il aurait fallu parfois aller au delà du simple plan narratif ou d'atmosphère. Ce que réussit très bien la mise en scène avec ses passages allégoriques illustrant les pensées intimes des personnages.
C'est là le progrès depuis son premier film : Santana a réalisé un film plus élégant, plus "cinématographique", où l'image est plus léchée, le cadre mieux étudié, le désir plus présent. Cela reste pudique et sobre. Le cinéaste pousse l'audace jusqu'à créer quelques transitions, quelques plans à effets. Parfois vains, mais souvent séduisants.
Hélas, ça ne sauve pas le film de dialogue spécieux ("- Vous savez comme je suis attaché à la lutte contre la stagnation miasmatique?") et de scènes anecdotiques pour ne pas dire inutiles. Heureusement, de folie mystique en fantasmes subjectifs, le film s'égare parfois d'un classicisme sage pour nous immerger dans une morale légèrement subversive. Même si le script arrive maladroitement à son but, Santana n'hésite pas à transformer sa ravisseuse en victime, légitimant ainsi ses actes. Il mise sur le personnage qui croit en l'être humain, plutôt que de glorifier ceux qui pourtant forment le public ciblé de ce genre de cinéma ... La Ravisseuse est finalement un miroir tendu à notre système, prompt à dévaloriser le rapport humain. vincy
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