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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Kohi Jikou (Café lumière)
Japon / 2004
Sortie DVD 07.09.05
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DES CAS
"Des trains partout. On est dans le ventre du train."
Hommage au Maître Ozu de la part d'un de ses disciples, Hou Hsiao-Hsien, Café Lumière compose avec le passé et le présent, un cinéma ancien et étranger avec un cinéaste contemporain et un autre exilé. Cela donne un film évidemment (facilement?) très beau, mais excessivement lent. "L'ennui, fruit de la morne incuriosité, prend les proportions de l'immortalité" écrivait Baudelaire. Hors, Café Lumière provoque un ennui qui ne naît pas de l'incuriosité, mais qui aspire à l'immortalité.
Le cinéma d'Hou Hsiao-Hsien n'est pas seulement affaire de généalogie cinématographique avec celui de Yasujiro Ozu - la place de la femme au coeur du film, les sentiments amoureux parfois tourmentés ou mélancoliques - il est aussi une histoire de liaison entre les deux territoires : le mouvement et le cadre, les corps et la ville. Le réalisateur taiwanais éclaire ainsi son oeuvre d'une lumière "ozuienne", traçant des lignes finalement évidentes, entre ce japonais méconnu et son oeuvre.
De manière subtile, HHH s'infiltre dans un cinéma qui n'est pas le sien, ou au contraire laisse passer par des interstices celui d'Ozu dans une histoire de femme piégée. Ici aussi la tradition a encore du poids. Les pères sont muets. Les jeunes femmes veulent s'émanciper. L'on devine, en ombres "chinoises", en arrière plan, les desseins des jeunes japonaises des années cinquante... Et quoi de plus naturel pour l'auteur de Millenium Mambo que de filmer une jeune femme d'aujourd'hui, perdue dans cette urbanité minérale, gracieuse et voyageuse. Bien qu'il ne parle pas le japonais, que Tokyo n'est pas Taipeh, cette expérience reflète, comme un miroir, son propre goût du septième art.
Ce n'est donc pas Lost in Translation. Mais plutôt le temps retrouvé, après avoir recherché ce temps perdu. Le temps d'Ozu? Le temps d'un cinéma de plus en plus véloce? Le temps des amours autrefois éternels? D'horloges en compte à rebours, d'horaires de trains en chronologie dessinée, Café Lumière fixe son mouvement dans le moment. Celui des errances, celui des attentes, celui du vide. Il se passe toujours quelque chose et il ne se passe rien. Le temps passe, entre déterminisme et fatalité. La quête d'un café peut-être disparu, d'un autrefois illusoire conduit l'héroïne à s'échapper de l'emprise de sa réalité, à ne plus être seulement la proie de son existence.
Dans cette recherche identitaire, une métaphore s'impose : le train. Ils se croisent, s'enfoncent dans les tunnels, relient les parents aux amis, le travail à chez soi, ils explorent ces pays complexes que sont les êtres et leur environnement. Le réseau est aussi éclaté et fouillis que les sentiments de notre demoiselle. Dans les deux cas, il s'agit de directions à prendre. Dans quel sens partir. Où arriver?
Malgré ce chaos du coeur, saignant de s'écarteler entre le Japon de naissance et le Taiwan d'adoption, tout semble calme et serein. Le film, douce intimité partagée, essaie d'apaiser les tensions et de faire coexister avec peu de mots les individualités. Chacun sa destination. Pourtant parfois on se croise sur un quai, dans un wagon. Etres en déplacement, en dérangement. Les corps bougent ou sont bougés.
Pourtant les cadres sont immobiles. Le voyage est intérieur. La projection est lointaine. Le cinéaste rêve de son île - un musicien oublié ou un amant laissé sur place - à travers sa muse. Il ne pense qu'à revenir. Elle ne pense qu'à y retourner. De là naîtra un bébé, un film.
Café Lumière ne fait pas qu'intensifier une lumière diffuse en reflétant imparfaitement les éclairs d'un Japon magnifié et défiant le temps. Il s'agit avant tout d'un hymne élégiaque à la transmission entre générations d'un savoir-faire et d'un savoir-vivre, quitte à trahir, traduire et transformer. Pour immortaliser le père plutôt que de le tuer.
Vincy
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