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PAINTING BODIES
"Ils dansent avec leur âme !"
Inspirations, exaltations, extériorisations à cent mille volts. Les affects explosent, les corps se libèrent. Exit angoisses et rages. Vous avez dit danse chaotique ? Ils se prennent en main et n'attendent que d'eux-mêmes. Leur volonté de foncer n'a d'égal que cette gangrène qui ronge leur pays. Flashbacks : Watts 1965, Los Angeles 1992 ou quand la Californie s'enflamme… Mais surtout quand l'Amérique se relèvera par la non-violence : focus sur ce rêve de 1963, celui de Martin Luther King bien sur. Quoi qu'il en soit, les véritables questions que soulève Rize ne sont pas là. Ni en ces émeutes on ne peut plus susceptibles de se reproduire, ni en cette lointaine Marche sur Washington. Dans les rues de South Central, on vise proximité. Puisqu'il faut bien commencer par quelque chose, c'est ici et maintenant que ça se passe : juste en bas de chez eux. Des clowns, des krupers, hommes, femmes, enfants. Quelles que soient leurs corpulences, ils krupent, célèbrent et partagent une énergie positive sans bornes. D'autres minorités les rejoindront.
Du mouvement, rien que du mouvement. La caméra de David La Chapelle restera la plupart du temps fixe pour ne pas générer d'effets clipesques, s'éloigner au maximum de ses précédents travaux en vidéo clips et embrasser l'essentiel : toute la dimension humaine du krump. Résultats étonnants ! Exception faite des séquences de Battles quelques peu longues, d'autant que comparables à une série de rounds boxés. Que l'on aime ou pas, l'ampleur du phénomène sera à couper le souffle. Notons qu'il ne faudra pas se fier au trailer ultra découpé (ni même à l'affiche) de ce film qui, en lui-même, chorégraphie la vie intime de ses personnages. Rize va à l'instant T avec une précision quasi-chirurgicale, sans politisation de son propos ni commentaires off. On reste in. Les témoignages sont précis, vifs, sans phare ou regard complaisant. Les situations parlent d'elles-mêmes. Clowning, Krump, témoignages, confidences, conversations entre amis, vie de famille, traditions baptistes, célébrations, anniversaires, coups durs, deuils : de l'exaltation à la douleur, Rize cristallise les sentiments de ses protagonistes allant au vif du sujet. Mélange de ferveur et de violence, très précisément à l'image de la vie dans ces quartiers où l'on est jamais sûr d'être encore en vie à la fin de la journée. Loin d'être démago, une fois encore le film nous l'expliquera très simplement, témoin d'un passage à l'acte avec l'assassinat d'une de ses jeunes krumpeuses vedettes. Conséquences d'un vieux contentieux familial lié à la guerre des gangs. Quelque chose d'ordinaire à South Central. Alors ils krumpent : se débrident, créent, communient entre générations au sens le plus fort du terme, s'affirment d'égal à égal entre sexes, bien au-delà de naïfs sentiments d'appartenance. Que d'envols, assurément glorifiés par l'exubérance plastique de David La Chapelle et l'énergie musicale de cette krump music, que l'on soit client ou pas du genre. Hip hop et rap sont déjà bien loin.
Chez les clowns et krupers, "on danse, on s'agite, on se secoue", on combat sur scène entre troupes mais avant tout contre soi, on se souvient de danses tribales et autres traditions ancestrales. On devient artiste guerrier. Retrouver ses racines, juste devenir quelqu'un et, pourquoi pas, un jour briller. Brillants, ils le sont déjà, à la reconquête de leurs ancrages, de ce qu'ils sont réellement en fin de compte. A la conquête d'une place, quelle qu'elle soit, d'un point de vue personnel comme social, aux travers de ces deux et uniques choses qu'ils ne possèdent vraiment : leur âme et leur corps. Dans ces circonstances on peut véritablement parler de don de soi. Sabrina
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