Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Elizabethtown (Rencontres à Elizabethtown)


USA / 2005

02.11.05
 



IN HIS SHOES





"Un gamin ne peut pas éduquer un gamin!"

Elizabethtown est une impasse où Cameron Crowe s'est un peu perdu. Cinéaste surfait depuis ses débuts mais disposant d'importants moyens pour ses chroniques dramatiques, il livre, à sa manière, une vision de l'Amérique qui aurait pu nous passionner. Cependant, à trop aborder de sujets, il se noie dans le bruit - verbes, musiques... - et il n'en ressort qu'une mélodie diffuse sur l'état d'un monde grossièrement dessiné. Reste que ce film ne manque pas de charme, d'âme, ou de flamme. Hélas, le style n'a pas de caractère, comme Bloom n'est pas Mortensen. Le regard est trop lisse pour ne pas dire neutre. Trop distant, à l'instar d'un voyage en voiture climatisée où l'on regarde le monde derrière sa vitre, sans les odeurs, la chaleur, l'humeur. Pour exemple cette scène où le personnage principal visite la chambre où mourut Martin Luther King, en passant du U2 : collage audio et visuel sans aucun sens. Ca fait juste "bien".
Tout est là : un début de réflexion, des idées bien amorcées, une volonté de comprendre le monde et au final, des chemins qui ne mènent nulle part, car tout est juste esquissé, inachevé ou maladroitement conclu. Seule la romance a son début, ses rebondissements, sa fin. Et une métaphore à peu près cohérente : même dans la plus grande foire du monde, vous pouvez trouver la femme de vos rêves - pas celle qui porte une casquette rouge (elles sont trop nombreuses), ni même celle au bob rouge (ringard) mais bien la fille au bonnet rouge (singulière). Tous les autres aspects abordés par le film son mal traités (et maltraités). Cela n'empêche pas l'ensemble d'être agréable. Mais le plat s'avère du coup trop lourd, le film trop long. La faute à quelques plans où Crowe ne sait pas forcément quand les couper, croyant installer un personnage avec ses excès plutôt que de lui laisser du mystère. "On est tous moins mystérieux qu'on ne le croit." Et du coup, un brin ridicule parfois. Sans omettre quelques petits soucis de raccords sur pas mal de scènes, une bande son surchargée d'extraits musicaux, devenue compilation musicalement atrocement montée. Pour en finir avec le talent supposé de Crowe, il suffit de voir avec quelle grossièreté il appuie sur l'image (la pancarte sortie de secours signifiant l'appel au suicide) pour signifier les choses.

On a tous le droit à une seconde chance
Il est plus habile à démontrer certains de ses propos en mettant en scène des personnages un peu fantasques, flirtant du côté de Capra et sa vision d'une Amérique naturellement excentrique et "bonne".
Premier sujet, récurrent chez le cinéaste : la notion de seconde de chance. Grandeur (ou son simulacre) et décadence, mais surtout résurrection. Ou comment apprendre de ses erreurs. Intéressant postulat qui va conduire ce créateur de godasses qui a loupé son invention pédestre à moins marcher à côté de ses pompes, ce qui est mieux pour avoir la jolie fille à ses pieds. Première morale, donc : on peut rater sa vie mais la recommencer, autrement. Hélas, le film ne nous apprend rien sur la manière dont il digère une erreur professionnelle (ça se digère en dix secondes apparemment). Son unique regret sera de ne pas avoir mieux connu son père... Cette erreur sera réparée à travers un travail de deuil qui ne le terrassera jamais...

L'Erreur est humaine
Deuxième sujet : le succès, à ne pas confondre avec la grandeur précédemment citée, est le seul Dieu vénéré de ce monde. Hélas, Crowe ne va pas jusqu'au bout de son croquis, puisque finalement le happy end montrera qu'on ne peut pas se contenter de l'échec. Ou en tout cas ne pas envisager un autre succès pour remonter la pente. Parallèlement, il parie plus sur le succès de son film que sur la grandeur d'un cinéma qu'il ne remet jamais en question, d'un système complètement assumé. S'il est gonflé de commencer un film par une citation sur la "différence entre un échec et un fiasco", on comprend vite qu'il ne se situe jamais dans l'échec - le film est trop "calculé" pour en arriver là - ni dans le fiasco - il n'y a aucune ambition démesurée dans le script. Ni échec ni succès, Elizabethtown n'est pas le produit d'un raté quelconque ni d'un génie rare. Nul désastre qui rend les médiocre vivant. Juste une fable un peu prétentieuse derrière laquelle se cache le portrait, non aboutit, de la condition de l'artiste face à la pression (argent, enjeux, et donc succès, en dollars). Car le film évoque la prise de risque - la réussite étant liée à cette audace. Or, notre héros n'en prend jamais, et il est censé avoir "réussit". Au mieux il s'abandonne, faisant confiance à sa mère ou à une hôtesse de l'air. Il n'a aucune relation réelle avec les autres hommes, substituts au paternel absent. Là encore la thèse est mal démontrée.

L'Amérique dans tous ses états
Troisième sujet : le portrait d'une Amérique schizophrène. Pour le héros, c'est le fameux "d'où viens-je?". Le caricatural retour aux sources censé nous aider à être mieux dans notre peau. A croire que les parents ne sont jamais responsables des erreurs de leurs rejetons, égarés loin des racines fondamentales.. Le film suit ainsi des gens perdus qui essaient de se retrouver au milieu de nulle part (un avion) ou à l'origine des choses (la maison familiale). Généalogie de l'Amérique. Sans aucun doute la meilleure partie d'Elizabethtown. Un monde en crise, qui s'écroule (industrie de la chaussure en faillite, compagnies aériennes vides...), où l'on peut se réfugier au fin fond d'un eden plouc : bled américain plein d'enfants qui jouent au ralenti, de tondeurs de gazons, de vieux accrochés à leurs bancs. Pas de blacks, d'hispanos, d'asiats. Le marginal est un batteur de rock, c'est dire l'ouverture d'esprit. Gênant. Un Kentucky profond avec son église, ses traditions familiales, son folklore gastronomique, ses réunions de patriarche, sa solidarité débordante d'amour, son patriotisme flagrant. Les femmes aux fourneaux, les anciens combattants, les incultes et les obèses, les brushings comme dans Dallas, voilà ce qui symboliserait l'Amérique profonde, celle des valeurs, avec 272 ans d'existence et West Point (académie militaire pour l'élite) en guise d'ENA et de saint Graal. Crowe ne s'en moque jamais. Il cherche à instaurer un dialogue avec l'autre Amérique. A comprendre la scission de sa nation. Comment réconcilier ces deux mondes? Personne ne le saura vraiment... Là encore le cinéaste ne va pas jusqu'au bout de son idée. Pourtant il prend partie. Grâce au personnage de Susan Sarandon. Symbole idéal d'une Amérique progressiste, curieuse, émancipée, intellectuelle, voyageuse. Bien choisie. Venue de l'Oregon (terre gauchiste des USA), qui est continuellement confondu avec la Californie (nommée aussi la Babylone satanique de l'Amérique), la mère arrive en star "étrangère", minoritaire, à part, élégante, sexy. Grâce à un monologue (malgré un son pourri) de l'actrice - la séquence la mieux écrite, la plus hollywoodienne du film - elle vole la vedette à 2 heures de film. La grande comédienne fait son show, faisant rire à une cérémonie de funérailles, jusquà un numéro de claquettes dur Moon River. Bref renvoie les ploucs, envieurs, à leur vie sans gloire et révèle leur jalousie. Ils ont beau méprisé les "californiens", ils les accueillent en vedettes. Crowe conclu alors son tableau des USA par un road trip : Memphis, Nashville, le Mississipi, le Sud profond et "raciste". Mais aussi le blues, le jazz, le rock, la country. De Mark Twain à Jeff Buckley. "C'est ça l'Amérique". Des attentats d'Oklahoma City à des histoires racontées au bar. Un album façon Amélie Poulain, sans la dérision.

On a tous en nous quelque chose du Kentucky
Il reste alors le quatrième angle de ce film au carré. Quadrature du cercle qui ne peut exister sans les personnages et donc les acteurs. Inégaux. Dans ce monde positiviste et hypocrite, où il faut avoir garder la face, on ne ressent pas vraiment la dépression de ces visages souriants, pour l'allure. Même les mariés ont l'air faussement heureux. Orlando Bloom répète sans fin des "I'm fine" qui, par analogie, signifie plus "I'm dead". Mensonge reflétant l'incapacité de cette civilisation à s'épancher sur les nuances de la vie, sur les gris de nos existences. Crowe parle ouvertement de mélancolie mais ça ne marche pas. Ce n'est pas dans la nature de son cinéma. Il est trop "roots" et "rock" pour savoir filmer la mélancolie. L'apprécier. En reproduire une impression juste. Dans cette époque qui se rencontre non pas à Elizabethtown mais dans des lieux sans adresse (dans les airs ou par les ondes GSM), l'imaginaire l'emporte sur le plus beau des paysages. Mais le cinéaste, jamais, ne nous laisse de la place pour nous faire imaginer... Aussi, du meilleur (Sarandon donc) au pire (Baldwin, qui nous la joue PDG de Nike pastiché à la manière du Juan Trippe de Aviator, avec un surjeu excessif et peu crédible), les personnages alignent leur savoir-faire. Presque surpris de voir Bloom être meilleur que Dunst. Orlando a quelque chose de Sarandon, physiquement. Il se glisse bien dans es habits de son personnage. Même si ce cupide stupide semble un peu bleu, un peu tendre. Dunst a moins de chance. Hôtesse de l'air, ange venu du ciel, elle l'oriente avec ses cartes (et a le temps de faire un épais carnet de voyage en moins de 3 jours!), cherche à sauver les gens. pour donner une direction à son vol sans escales. Dunst a un jeu névrosé, très banal, parfois agaçant.Il faut dire que la plupart des scènes du couple - alors qu'il s'agit du fil conducteur - sont mal écrites, peu inspirées. Une séquence sauve cette série de clichés : celle où elle quitte la chambre d'hôtel.

Et vive la différence?
Lui se trompe sur tout et gère les orgueils de gens qu'il ne connaît pas. Un peu ce qu'est Cameron Crowe : un observateur qui comprend beaucoup de choses mais ne sait pas comment les relier. Dans ce monde cruel où les déclarations d'amour peuvent se copier, coller et les attentes de la vie peuvent être clonées, on retarde toujours l'inévitable mais l'inévitable n'est jamais en retard. Il a fallu du temps pour arriver à l'évidence, et beaucoup de détours. C'est comme Elizabethtown, si on rate la sortie 60B, on se retrouve dans un autre Etat/état. "Chacun a son idée et y est attaché. (...) Et c'est une décision qui vient de Californie." Peut-être que, justement, le problème réside là. Film trop hollywoodien et pas assez américain, le regard est trop complaisant, sympathique, bienveillant autour de pantins désincarnés prenant toutes leurs grandes décisions, par téléphone et n'écoutant pas vraiment ce que les autres ont à dire, persuadés que leurs différences sont trop irréconciliables.
 
vincy

 
 
 
 

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