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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Le petit lieutenant
France / 2004
16.11.05
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LES RISQUES DU METIER
« - Pourquoi t’as fait flic ?
- Je sais pas moi… à cause des films. »
Plutôt que de se tourmenter à qualifier l’exactitude, la précision du film de Xavier Beauvois, en termes stylistiques, plutôt que d’interroger les notions de réalisme, de naturalisme, de documentaire, contentons-nous d’un mot tout bête : Le petit lieutenant est dans le vrai. La lucidité calme, profonde du réalisateur font de cette prosaïque chronique policière un émouvant séjour dans notre monde. On en arriverait à se demander si le film n’est pas à l’extérieur de la salle de cinéma. Beauvois fait des films pour rappeler qu’il et nous sommes ici-bas, pas dans un monde désertifié, pas dans une errance des derniers jours à la Gus Van Sant mais bien là et maintenant. N’oublie pas que tu es en vie.
Quels sont les moyens du metteur en scène pour, comme le fit Sartre avec un tout autre itinéraire, dévoiler ontologiquement un univers, en l’occurrence, celui d’un commissariat ? Beauvois filme avec une grande simplicité - une honnêteté devrait-on dire – les faits et gestes de ces policiers au travail. Même si l’enquête ne semble pas tellement intéresser le réalisateur, même s’il n’y a pas de suspense, le spectateur arpente et découvre les couloirs de la PJ en même temps que le jeune lieutenant, aussi captivé et curieux que lui.
Pour que, comme dans les meilleurs séries américaines, qui en ont fait leur spécialité, ce spectacle du travail en marche fonctionne, plusieurs conditions sont nécessaires. L’admirable direction d’acteurs transfigure la froideur coutumière de Jalil Lespert qui incarne au sens fort son personnage. Ses deux acolytes, Roschdy Zem, précis jusque dans les gros plans les plus casse-gueule, et Antoine Chappey sont irréprochables. Quant à Nathalie Baye, une sorte de mystère l’entoure, elle (ou son personnage peu importe) est opaque, lointaine parce que seule, comme enfermée dans un tableau de maître, mais humaine au possible.
Autres conditions réunies : le goût du détail, la recherche du dialogue et le talent irréductible du réalisateur, qui le dispense de s’entourer d’une armée de scénaristes et de spécialistes en tous genre (dont ne se privent pas les susdites séries américaines) et dont l’absence en France font de nos feuilletons policiers (ou autres) de plates et maladroites commisérations télévisuelles. A cet égard, le cinéma de Xavier Beauvois ne reste pas muet. Son film est comme un défi lancé aux téléfilms bas de gamme, un pari de la sincérité sur le terrain de la production de masse, livrée à la douzaine.
Pour arriver à ces fins, Beauvois se fait le porte parole de Serge Daney, pour qui les films ne devaient pas se faire « sur » mais « avec » leur sujet. Il faut d’emblée réfuter toute accusation démagogues, qui voudrait voir en Le petit lieutenant un hommage servile aux forces de l’ordre. Que le film soit « avec » la police ne veut pas dire qu’il soit de « son coté ». La mise en scène n’a jamais l’outrecuidance de s’engager du bon ou du mauvais coté du flashball, sur le terrain glissant de la politique.
D’ailleurs le vrai sujet du film, aux dires même du réalisateur, est porté par le beau personnage de Nathalie Baye, au cœur du délaissement et de l’alcoolisme mélancolique d’une exilée chez elle. Beauvois va jusqu’à laisser ses personnages se débrouiller sans musique, solitaires toujours placides, parce que « quand je suis flippé, dit-il, que je marche dans la rue, je n’ai pas un quatuor à corde qui me colle aux basques ». axel
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