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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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The Constant Gardener
/ 2005
28.12.05
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JARDIN EXTRAORDINAIRE
"- Pour un Diplomate, vous mentez mal.
- D'où ma piètre carrière."
Après La Cité de Dieu, nous étions en droit de nous interroger sur le coup de génie qui avait frappé Fernando Meirelles. Combien de cinéastes n'ont pas survécu à un film phénomène...? L'interrogation devenait inquiétude en apprenant qu'il s'attaquait à une production internationale ambitieuse et loin de son Brésil. Récupéré?
The Constant Gardener, à défaut de dessiner déjà une cohérence dans une oeuvre qui reste à construire, soulage nos angoisses "cinéphiliques". Sans doute parce qu'avec un sujet tout aussi politique et polémiste que le précédent, mais avec une dimension romantique qui ne préexistait pas, ce thriller contient tous les ingrédients pour séduire les spectateurs. De l'action et de l'amour, du suspens et de la souffrance. Fascinant et captivant, et tout aussi puissant : entre Scorsese et Soderbergh. Rien que ça.
La réalisation de Meirelles tient dans un art subtil du cadrage, de l'image et du montage. Angles décadrés pour focaliser sur un contexte pervers et des personnages à la pensée bancale. Axes en diagonales. Tout va de travers dans ce monde. Photo reportage, nature géophysique, comme un atlas ou une image satellite. Couleurs contrastées, souvent saturées. Aveuglés par la luminosité, l'inutile nous cerne, plongés dans la noirceur de nos fautes. La caméra essaie d'aller chercher des moments furtifs, le plus proche du réel. Impressions de non-simulation. La narration s'en trouve déstructurée. Comme on essaie de retrouver la mémoire sur des faits passés. Le film n'est qu'un long flash back.
La séquence finale s'avérera le commencement de l'histoire. Il était une fois deux amants qui se retrouvent au bord de l'Enfer... Télescopage de souvenirs, voilà ce à quoi nous avons assisté durant deux heures. De l'importance de la mémoire, des archives, de la communication - le web est un personnage essentiel. Le montage n'est jamais confus. Il est même limpide. En deux plans nous passons des terrains de golf aux bidonvilles. Meirelles ne fait pas de détoure. Il livre son message abruptement. En une phrase il fait dire l'essentiel sur la manipulation politique le crime que représente l'homosexualité, la sauvagerie de la torture, le dérisoire de la vie. L'Afrique a bien changé depuis Mogambo. Villages, routes en terre battue certes mais aucun folklore. Du théâtre de rue pour faire de la pédagogie sur le SIDA... Après les cités de gangs brésiliennes, Meirelles pose son regard sur une Afrique malade, rongée par les virus. Alors ses personnages s'expriment - librement - écoutent, échangent. The Constant Gardener ce n'est qu'un passage de relais, une transmission de savoir, une envie de témoigner où l'humain est primordial, devant choisir, moralement, son camp.
Toutes les thématiques chères au romancier John Le Carré s'y retrouvent. L'espionnite aiguë de notre monde paranoïaque (les caméras de surveillance londoniennes ne sont pas des leurres), une enquête d'investigation forcément complexe, mais surtout Meirelles est parvenu à restituer les enjeux
géostratégiques sans perdre le spectateur. De même, ce désenchantement sur l'idéalisme et l'honneur qui conduisait les hommes est plus que perceptible. Une telle fidélité à un roman et à son auteur, avec la nécessaire trahison qui est, ici, le style cinématographique du cinéaste, tient presque du miracle. La métaphore file bien. En un seul dialogue, le réalisateur installe les antagonismes. Un diplomate qui exécute les ordres en se souciant plus de son jardin que du monde. Une jeune femme contre la Guerre en Irak, défendant avec ferveur l'ONU, se trouvant une mission pour dénoncer un immense scandale. Mais il n'y a plus de place pour les utopies... Tout comme l'ONU a été mise à terre et les pacifistes bâillonnés, elle se retrouvera isolée. Mise à mort. De là part le film. De ce bonheur ruiné par l'injustice des hommes. Autour de ce cocon amoureux nous découvrons une planète corrompue, des hommes pourris, de l'argent enivrant, des sociétés pharmaceutiques sans éthique, des politiciens sans Etat ni âme, des maladies dégueulasses...
Nous ouvrons les yeux : qui peut lutter contre des personnes "morales", invisibles, trans-frontalières, plus opulentes qu'une nation? Comment se battre contre des labos qui prescrivent les examens, contrôlent les tests, vendent les médicaments, et utilisent leur molécules sur des cobayes piégés par ce système vicieux et tyrannique? Le nouveau colonialisme n'est plus fabriqué par les diplomates. Les cartes sont changées grâces aux multinationales. Territoires conquis : "The World is our Clinic". Le véritable axe du mal, avec de véritables armes de destruction massive! "Le diable nous tient pas les couilles, ou il nous les fait bouffer!"
Meirelles et le Carré nous racontent une histoire de chantage, de délocalisations, d'enjeux financiers et sociaux, de rivalités entre pays. Liaisons dangereuses où la Merteuil aurait le masque du Cac 40. Et où Valmont, en bon Ministre, serait juste la pute obligée à lécher. La violence n'est pas dans les armes, d'ailleurs il y a peu de coups de feu. Elle est dans ce continent en phase terminale. Impuissants, les héros deviennent ceux qui s'impliquent. Jusqu'à ces ONG surveillés comme des nids de terroristes. Eloge de l'ONU et ses missions. Ce n'est pas courageux, mais c'est appréciable, saisissant, marquant.
Documenté, précis, le film aurait pu être une aventure de Jason Bourne ou un brûlot de Michael Moore. Cependant The Constant Gardener, malgré tout l'intérêt porté à son sujet et l'intelligence du traitement, est avant tout la plus belle déclaration d'amour de l'année. A partir d'une passion (sexuelle), résumée en une scène rare, car lumineuse et rieuse (la jouissance pouvant aussi être drôle). Le couple, de même, est très bien décrit dans ses divergences, cette incapacité à faire partager le feu qui nous anime. Dans ce désir de protéger l'autre et de partager avec l'autre même si l'on sait l'entreprise perdue d'avance. Puisque les histoires d'amour finissent mal, autant débuter par cette souffrance, l'évacuer et nous faire comprendre ce qui hante et motive le diplomate à la chlorophylle à sortir de sa réserve de fonctionnaire et de sa patience de jardinier. Il faut tout le talent et le charme de Ralph Fiennes et Rachel Weisz pour nous emballer dans cette idée folle de poursuivre et conclure une vie inachevée. Histoire de sacrifice, requête d'un pardon, quête d'un dialogue invisible avec la défunte pour faire son deuil? Ou tout simplement trouver une forme de sérénité, d'harmonie réconciliatrice. Le film se repose sur le souvenir d'une belle âme, d'une belle femme. Elle a la tête dans le ciel, il a les mains dans la terre ("Il rêve d'un monde sans mauvaises herbes").
Mais le gazon n'a rien d'anglais et n'est pas verdoyant. Meirelles le sud américain veut apparemment décortiquer les maux des pays en voie de développement; après la violence, les maladies. On aimerait sourire à ces gamins des rues, mais ce n'est pas possible. Grinçant du côté des entournures. Comment peut-on être autant bouleversé. Fondamentalement, le film est pourtant bien moins "dur" que La cité de Dieu... Le choc de la fin est atténué par ce puissant venin, distillé depuis la première image, amer et mélancolique. Comme fataliste, à l'instar de ces époux qui se rejoignent dans une ultime passion, plus belle que la vie. L'écran est rougit par le sang, la colère. La lettre d'amour à sa lumière du jour se moque des paysages flamboyants, des visages hostiles. Le carnet de voyage et le journal intime font place à la correspondance posthume : une prière, une méditation, un voeu. Exaucé. Une histoire d'accomplissement. Comme un jardinier satisfait de l'épanouissement d'une plante, et de sa beauté. vincy
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