|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
Good Night, and Good Luck.
USA / 2005
04.01.06
|
|
|
|
|
|
CONFESSIONS D'UN HOMME RIGOUREUX
"- Trouve moi une autre femme rappelle à son mari de retirer son alliance avant d'aller au bureau?
- Ava Gardner."
Deuxième film. Seconde réussite. Essai transformé pour Clooney, star de cinéma, révélé par la télé, et qui n'en finit pas de démembrer son époque, son enfance, sa culture, et finalement le petit écran à travers le grand.
Après un mythomane champion du divertissement, parabole de son métier d'amuseur, il a préfèré s'intéresser à un journaliste intègre, as du débat politique. Le noir après le blanc. Ou l'inverse. Le noir et blanc de ce film est d'ailleurs le premier des bons choix de Clooney cinéaste. Après tout, la télévision n'avait pas la couleur dans les années 50. Manière aussi de prendre des distances avec les commentaires, de glacer les propos les plus polémistes.
A force de se plonger dans les racines de ce média populaire, en prenant des figures emblématiques de son histoire, nous pouvions croire Clooney obsédé par une époque révolue. Mais Good Night, and Good Luck est une piqûre de rappel servant à nous rafraîchir la mémoire. Ce sujet n'a rien d'innocent. Oubliez la forme - la musique jazzy, l'élégance de la photo, la superbe chorale d'acteurs . L'ambiance feutrée ne sert qu'à enrober un combat de requins. Dialogues acerbes où l'on ment à voix haute et l'on chuchote les vérités. L'atmosphère cosy et enfumée - la Loi Evin et les patchs n'existaient pas à l'époque - n'empêche pas l'hypocrisie, les manipulations, la pression politique, économique, le chantage à l'emploi, le déshonneur public. Joyeux.
En trois histoires, Clooney raconte l'histoire d'un média, les limites d'un système et le McCarthysme. Avec un sens inné de la narration, et un respect admirable du spectateur, le cinéaste pose le problème avec une épitaphe : en 1958, on dresse (déjà) l'éloge funèbre de la liberté et du devoir d'informer. Comment, dès lors, la démocratie peut-elle fonctionner en pleine période de propagande et de chasse aux sorcières irrationnelle?
Pas facile d'avoir la foi. La radio était devenue un média complaisant et opulent. Certains journaux n'étaient que des torchons partisans. Les agences de publicité et les sponsors faisaient la loi tous médias confondus, jusqu'à contrôler indirectement le contenu des informations. Avant même d'inventer un style télévisuel (qui héritait encore d'un discours radiophonique, calqué sur un montage visuel dont on maîtrisait mal l'impact), le petit écran se faisait corrompre, influencé, et bridé par les marques de grande consommation. L'information pouvait-elle survivre à cela?
Formidable documentaire sur cette préhistoire de la télévision, et ses coulisses, Good Night, and Good Luck démontre que peu de gens ont intérêt à voir un média faire un travail de débat et de démocratie. La télé d'alors dérangeait autant que le web aujourd'hui. La politique était au coeur de l'information. Parfois des contenus plus people compensaient des lignes éditoriales dignes du Monde Diplomatique, mais jamais le Show-biz n'avait le dessus. Si le sensationnalisme émergeait doucement, on citait quand même du Shakespeare dans le texte en guise de conclusion et de morale pour un sujet de société.
Mais face à cet idéal journalistique, impeccablement incarné par David Strathairn, il fallait un ennemi. Le Sénateur McCarthy. La diversité idéologique contre la pensée unique. Le droit à la contradiction versus la propagande. Le monopole de la raison n'existe pas. Cette Amérique pas si démocratique où l'on incite à dénoncer son voisin ou son père, où le populisme aveugle le discernement intellectuel, où un Sénateur est capable d'imposer des méthodes anticonstitutionnelles, est un écho flagrant à notre début de millénaire. McCarthy "consterne nos alliés et confortent nos ennemis". Nous rappelant forcément le Président Bush. Si on ne parlait pas de racailles en ces temps bien élevés, cela ne manquait pas de chacals. Procès croisés : les années 50 et les années 2000, la télévision facile et l'information éthique, la pensée patriote et la loyauté intellectuelle. En guise de témoins, et pour faciliter le débat, un couple, interprété par Downey Junior et Clarkson (tous deux idoines), permet d'exprimer les doutes du spectateur lambda, d'amener vers une vérité, de définir la justesse du propos. Exercice dialectique pour faire comprendre que sans liberté d'expression (ou de blâmer), il n'y point de liberté tout court. Décryptage brillant, le film, a pour seul défaut d'être presque trop parfait.
Epuré, lissé, nuancé, mais légèrement soporifique, à l'image de ces émissions un peu ennuyeuses et très didactiques, cet univers clos, privatif, nous semble toujours fermé. Un club que nous avons juste le droit de regarder. Personne n'est présenté. C'est l'image qui va nous expliquer le métier et le statut de chacun. Malin. Comme le présentateur Murrow. Cependant, on aurait aimé que ce Murrow et son "good luck" soit un peu plus chaleureux. Reste le regret de constater qu'il s'est fait abattre par une TV qu'il avait contribué à créer : "les gens veulent des jeux, pas de l'instruction civique." "Divertir, amuser" et donc "isoler", voilà l'objectif de ce petit écran qui allait contaminer tous les foyers en moins de 20 ans. Il ne reste plus qu'à aller au cinéma, devenu l'un des rares et potentiels instruments critique pour sauvegarder ce qu'il reste de démocratie et continuer à diversifier nos opinions. C'est peut-être pour cela que des films comme Traffic, Lord of War, celui-ci ou des documentaires fortement politisés séduisent de plus en plus les spectateurs. Non seulement ce sont de bons films, mais en plus ils sont utiles. Surtout, il sont un moyen alternatif de comprendre un monde de plus en plus ignoré ou déformé par la télévision. vincy
|
|
|