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SOIS BELLE ET TAIS-TOI
"Un cintre bientôt à la retraite."
Etre vieille, usée et finie à vingt-six ans, lorsque l'on a été encensée pour sa beauté et sa grâce, quelle ironie du sort ! Quelle cruauté, aussi. Fabienne Berthaud appuye là où ça fait mal en captant les humiliations répétées, la culpabilité et le sentiment de déchéance physique puis morale qui est le lot commun de ces jeunes mannequins jugées soudainement indignes de faire rêver les foules.
Sa démarche est sans concession envers le milieu de la mode. Loin de tomber dans le piège du glamour, elle montre en quelques scènes bien senties l'envers des séances photo, royaume de l'artifice et de la superficialité, où les modèles sont traitées comme de la viande. Abandonnées aux mains d'une armée de petits chefs (maquilleurs, coiffeurs, photographes, stylistes…), elles abdiquent toute volonté, pour n'être plus qu'un corps malléable à merci, sujet devenu objet. Lors d'une scène-clef, un casteur, maquignon des temps modernes, ne manque pas de s'extasier sur la dentition parfaite de Frankie, avant de se plaindre de son embonpoint. Bienvenue chez les nouveaux esclavagistes.
Mais Frankie n'est pas un documentaire sur le milieu de la mode (Fabienne Berthaud en a déjà réalisé un par le passé). Ce n'est pas non plus l'histoire d'une chute. D'où cette construction complètement éclatée, mêlant les temporalités, qui donne le sentiment de démarrer après le drame, et de n'être finalement que le long récit d'une reconstruction. Dès le départ, la réalisatrice fait des choix de mise en scène extrêmes : les scènes sont hâchées, morcelées, juxtaposant des dizaines d'images volées de Diane Kruger assise, couchée, immobile, les yeux dans le vague, en gros plan, endormie… L'image tremble, il y a du grain, c'est souvent saturé, et la première demi-heure du film est difficile à supporter. Un parti pris esthétique qui a pourtant une raison d'être.
Une vie dynamitée de l'intérieur
La violence visuelle des prises de vues en lumière naturelle reflète l'état psychologique de son héroïne : éblouie, au sens propre, par une existence dont elle ne distingue plus les contours. D'où ce morcellement temporel et physique, ce patchwork de moments et de séquences qui représente une vie dynamitée de l'intérieur. Au fil du film, les séquences s'allongent, le montage s'assagit, le spectateur cesse d'avoir le tournis. C'est qu'à l'écran, Frankie commence doucement à se reconstruire. Elle retrouve en même temps que la parole, le chemin vers elle-même et vers les autres. Une promesse d'avenir.
Mais ce qu'elle montre par sa mise en scène, Fabienne Berthaud le soustrait de ses plans. Les flashs back qui viennent éclairer le passé de Franckie, nécessaires à la compréhension du spectateur, sont habilement menés, mais ne donnent au final aucune explication, pas plus que les scènes, majoritairement silencieuses, qui opposent la jeune femme à son psy. On ne saura rien de ce travail qu'elle fait sur elle-même, de ses doutes, de ses peurs. D'elle-même, elle ne livrera rien par la parole. Reste le travail du corps et ces improvisations inouïes avec les patients de la clinique psychiatrique La Chesnaie, où a eu lieu le tournage. Ainsi ce moment de grâce où une malade monologue sur les anges. "Au sujet de vos ailes, dit-elle tout à coup à Franckie, qui suit avec attention son propos, je pense qu'elles vont revenir."
Ne serait-ce que pour cette scène, on a envie d'aimer Frankie, d'oublier ses défauts stylistiques, de passer sur cette première demi-heure éprouvante. Il faut encourager la sincérité de Fabienne Berthaud, et à travers elle, ce cinéma français qui ose expérimenter et poser sur le monde un regard personnel et original. MpM
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