|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
|
BRAQUEUR AMATEUR
"Une porte s'ouvre dans ma tête et laisse passer des choses : des sons, des voix… Ca me dit que la crise arrive mais je ne peux rien faire pour l'empêcher. Rien."
L'homme est étendu par terre, inconscient et nimbé d'une lumière blafarde. La caméra tourne lentement autour de son corps tandis qu'en fond sonore, des séries régulières de "bip" stridents troublent le silence. Enfin il se réveille, pas plus impressionné que ça, se relève et s'en va. On le retrouve chez lui, en train de reconstituer le corps d'un renard : os, peau, yeux, mâchoire… la forme amorphe semble prendre vie sous ses doigts habiles. Du travail d'expert, calme et méticuleux.
Plus tard, il se rend dans un musée poussiéreux où les animaux naturalisés tombent en lambeaux. Toujours cette ambiance presque glauque et ce sentiment que quelque chose cloche. Et puis soudain, le taxidermiste effacé (dont on ne saura jamais le nom) laisse place à un homme sûr de lui, détendu et triomphant. Voyant que c'est le jour de paie, il expose à son collègue Sontag un plan selon lui infaillible (et inventé au fur et à mesure) pour réaliser le hold-up du siècle. Il a tout prévu : le timing, le moyen de neutraliser les gardes, les solutions de repli… Sans verser une goutte de sang, en moins d'une minute. Mais à peine son récit achevé, il retombe dans un profond abattement et s'enfuit.
En trois séquences, le film est placé sous le signe du mystère, voire du surnaturel. Qui est cet homme sans nom, ce taxidermiste renfermé obsédé par l'envie de réaliser un "coup" formidable et unique ? Que cherche-t-il ? On le devine avide d'une autre vie, plus excitante, plus extravertie. Comme un homme qui a désespérement besoin que quelque chose, peu importe quoi, lui arrive.
Fausses pistes
Suit une équipée dans les bois, sous prétexte de chasse au cerf. Tous les ingrédients sont alors réunis pour que le spectateur soit fébrile sans pour autant avoir la moindre idée de ce qu'il craint. Le paysage est trop vert, trop beau, pour ne pas sembler inquiétant. D'ailleurs, très vite, il vire au gris. Le taxidermiste, seul dans un environnement que l'on sent hostile, découvre une cabane secrète. A ce moment du film, l'intrigue peut basculer de tout côté : film d'horreur (avec fous furieux surgissant de la cabane), surnaturel (des phénomènes mystérieux ayant lieu dans la cabane), policier (une enquête dont la cabane serait le point de départ), etc.
Fabian Bielinsky met très longtemps pour nous éclairer. Sans pencher plus d'un côté que de l'autre, il ménage quantité de fausses pistes par une succession de scènes en apparence anodines qui n'apportent aucune progression dramatique. A cause de cette absence de rythme, chaque séquence semble repartir de zéro. C'est souvent long, un peu oiseux. Le réalisateur prend tellement de temps pour installer son ambiance, pour faire mijoter les spectateurs, que lorsque son héros commence à assembler les pièces du puzzle, on est presque déçu.
Et pourtant, toute cette tension finit par mener quelque part. Mettant enfin cartes sur table, le réalisateur offre une dernière partie plutôt réussie. Il pose un regard personnel et neuf sur le canevas classique de la réalisation de l'un de ces gros coups chers au héros. Le hold-up en lui-même compte peu. Son intérêt, c'est qu'il confronte enfin le taxidermiste avec son rêve de toujours. Retrouvailles brutales et douloureuses avec la réalité. Lui qui se prenait pour un caïd, capable de rivaliser avec les plus endurcis, il découvre qu'on ne s'improvise pas homme d'action lorsque l'on a été spectateur toute sa vie. L'identification entre le héros et le vrai spectateur, planqué devant l'écran, est ici transparente. Réflexion sur le passage à l'acte, El aura confronte cruellement le taxidermiste avec l'image qu'il se faisait de lui-même... et tend un miroir à chacun d'entre nous. Qu'auriez-vous fait à sa place ?, demande malicieusement Fabian Bielinsky. La symbolique de la crise d'épilepsie, qui court tout au long du film, renvoie quant à elle à l'illusion de la prescience et au sentiment fallacieux du contrôle absolu, tentation universelle de ceux qui sont habitués à vivre par procuration. Une réponse efficace aux pseudos films d'action où Monsieur Tout le Monde devient un combattant intrépide en dix minutes chrono… MpM
|
|
|