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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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C.R.A.Z.Y. (Crazy)
Canada / 2005
03.05.06
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YOUNG (FRENCH) AMERICANS
"- Je veux être comme les autres."
Etrange épopée à laquelle nous convie Jean-Marc Vallée. "Stylistiquement" fourre-tout ce fabuleux destin de Zachary Beaulieu; dans le scénario, au choix, nous y retrouvons Le Péril Jeune (jeunesse des années 70), Nos meilleures années (chronique d'un pays), Ma vie en rose (une fille manquée qui aime pousser le landau), Billy Elliot (dans ses trips musicaux en solo)...
Mais C.R.A.Z.Y. - le titre est à la fois le titre d'une chanson entêtante, vénéneuse et rocailleuse et les initiales des prénoms des cinq frères - est une oeuvre attachante, malgré ses défauts. Comme la chanson ou la fratrie. Le genre de films qui marquent par ses bons sentiments, un humanisme faussement réel, un cynisme édulcoré, une fantaisie qui rendrait la vie plus légère si les faits n'étaient pas si sordides.
Identités complexes
Trois thèmes se croisent inégalement. L'identité québécoise, où se confrontent un passé catholique très pesant et une révolution tranquille à base de musique, sexe et éducation. L'identité masculine, un problème de société dont le Québec s'est très vite emparé dans les années 90. L'identité sexuelle, et ses origines. Inégalement car, au profit d'un divertissement jamais rébarbatif, C.R.A.Z.Y. fait des compromis ou des choix qui accentuent parfois certaines relations ou quelques événements. Piégé par sa volonté de vouloir tout dire sans ennuyer, Vallée privilégie l'impression, la sensation même, à une cohérence cinématographique. Parfois les ponts entre les couplets et les refrains s'enchaînent mal, mais l'ensemble rend l'oeuvre touchante et plaisante.
Ne passons pas à côté de ce film de "Boys" pour ces maladresses assumées. Zach est là pour nous faire adhérer au propos, et certains s'y identifieront. Marc-André Grondin, aux allures de Gaspard Ulliel, donne chair (et cheveux) à cet ado mal dans sa peau. Il incarne à la fois son pays, son sexe, ses désirs. En "héroïsant" le plus féminin des cinq frères, le fils préféré de la maman, celui qui a tout pour illustrer l'ambivalence bisexuelle et l'androgynie à la Bowie, le cinéaste fait le portrait d'une époque libérée de ses carcans (mais pas forcément dans toutes les mentalités) et d'un avenir inéluctable (où le sexe faible va devenir le sexe fort).
Nostalgie tranquille
Contrairement à un Eric Zemmour qui défend le retour du machisme et du patriarche, le film montre au contraire la nécessaire castration de ce modèle, plutôt nocif pour le groupe. "Mes frères étaient trois abrutis". Un qui lit tout et même un paquet de Ritz, un fou de muscu qui s'exerce avec fortes flatulences, un aîné brutal, paumé, con. Reste le sensible, nombril de ce monde, et le petit dernier, assez effacé. Les relations fraternelles sont souvent caricaturales ou peu approfondies. Excepté cette liaison antagoniste entre l'aîné et Zach. Cette "bite generation" (pour reprendre le jeu de mot de Libération) va dans le mur (mariage, drogue, beaufitude). On sent une forme de nostalgie pour ces amours virils comme pour ces airs de pop rock.
Après tout ce Québec a disparu, comme ces sixties et seventies mutantes. Cependant C.R.A.Z.Y. joue sa petite musique pour nous transporter dans une émotion bienvenue. Cette histoire de "sexe drogue et rock n'roll" nous happe dans ses symboliques (la foi versus le plaisir) jusqu'à nous conduire sur les traces du Christ (et d'un dépucelage sodomite), où tout se mélange. Illustration parfaite : cette élévation "space" et rock au sein d'une église qui en oublie ses cantiques, habitée par des canailles. Le doux rêveur devient alors rebelle, révolution paisible et chaotique, selon les tourments. La musique joue un rôle essentiel pour communiquer, relier. Bref la musique est devenue la religion d'une génération de baby boomers. Intéressante théorie qui prend sa quintessence dans cette écoute "stone" de Space Oddity où la prière divine se mue en un shot (inhaler un joint par l'autre bout) avec Dieu. Sacrilège ou S.O.S. d'un terrien en détresse?
Foi et soi
Pourtant tous ces blasphèmes sont compensés par cette mère plus que pieuse, en communion permanente avec son fils. Une tendance mystique un peu trop forcée qui rend le film plus onirique que réaliste, plus artificiel que passionné. De même, nous nous égarons lorsque le conflit quitte la relation père / fils (avec ce fameux disque cassé comme acte de défiance) pour la rivalité plus insipide entre les frères. Car la réussite du film repose aussi sur le couple - Michel Côté et Danielle Broulx, tout en nuances - ces parents terribles. Lui père dépassé et fan d'Aznavour, elle mère courage et bigote. Avec cette scène dans la salle de bains où ils se balancent leurs quatre vérités sur la sodomie, la normalité, les psys et les abbés. De loin la séquence la mieux écrite, la mieux jouée, la plus vibrante.
Cette quête identitaire (et sexuelle) d'un jeune gars qui a la haine de soi (et donc celle de l'autre), qui se prend des gnons plutôt que de voir la vérité en pleine face ne laisse pas indifférent. S'accepter tel qu'on est plutôt qu'être malheureux mérite qu'on s'attarde sur les moyens employés, les défis lancés. "Si je réussis à..." Jeu d'enfant périlleux qui lui fera endurer des souffrances forcément christiques, aux confins de ses croyances et de ses attirances. Plus sage qu'il n'en a l'air (et le titre), ce voyage ne manque pas d'ampleur, d'humour et de violence. En quête de foi et de soi, notre ange noir, comprenant ses racines, peut enfin éclore et atteindre son ciel. Non sans regrets, ce regard complaisant sur le passé. Mais, après tout, "y a des fantasmes qu'on prend plaisir à entretenir"... vincy
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