Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Le Voyage en Arménie


France / 2006

28.06.06
 



FAUT QU'ON CAUSE DANS LE CAUCASE





"- Aller… vous pouvez me le dire, je ne le répéterai pas. Vous ne vous sentez pas un peu Arménienne ?"

Il s'agit du premier film du "marseillais" Guédiguian où l’Arménie est le sujet central. Fier de ses origines, sans pour autant être en quête d’identité, ses précédentes oeuvres contiennent tous des clins d'oeil à ce pays qui lui est cher. Il présente un petit arménien venu de Georgie dans La Ville est tranquille, fait entendre quelques mots d'arménien dans A la place du cœur ou une musique d'Arto Tunçboyacyyan dans Mon père est ingénieur. Mais Robert Guédiguian semble s’être perdu en route, entre son quartier marseillais de l'Estaque, où il a situé ses fictions (dont le triomphal Marius et Jeannette), et son pays de cœur.
Ce qui aurait pu être un voyage d’apprentissage, rempli de poésie, de symboles et de sincérité, se transforme en pot-pourri de catégories cinématographiques où le cinéaste cherche à traiter de nombreux thèmes et n'évite pas toujours les pièges du « trop-plein » et de la raideur didactique. Le film souffre de ce mélange des genres, un peu trop éclectique pour former un tout digeste : film d'initiation, comédie, drame sentimental et… mauvais polar ! En fait de jeu de piste sur les traces d’un passé fantôme, le scénario nous embarque dans une histoire abracadabrante qui nous éloigne totalement du but recherché. Parfois, Anna a quelques sursauts de culpabilité en se rappelant qu’elle est venue pour son père, mais ne semble pas le chercher avec la plus grande vélocité. C'est sur ce dernier point que la réalisation échoppe quelque peu : on ne croit guère à cette histoire de gros bras voulant régler son compte à la petite Française, trop curieuse de leurs manigances. Ces exagérations virent même parfois au film de série D lorsqu’elle tire de sang froid sur les « méchants » trafiquants, touchant avec précision les parties visées.
Malgré tout, ce film s'avère un voyage à part, où Guédiguian reste fidèle à son style : beaucoup de travellings, un regard à la fois sensible et évanescent sur des choses qui se dérobent à leur matérialité pour verser dans le champ du ressenti. Il procède ainsi à un portrait par touches de ce que pourrait être la culture arménienne. Son héroïne ne va pas vers la certitude ou l'affirmation, mais au contraire vers le doute et la découverte d'un autre soi… Du hall de l’hôtel au salon de coiffure, des rues bondées de la ville au silence religieux des églises ottomanes, elle fait la connaissance d'un peuple généreux et accueillant qui, finalement, lui ressemble un peu (tout au fond), prêt à l'aimer, pour peu qu'elle fasse l'effort de le comprendre et de compatir à sa douleur. La belle Schaké, une jeune coiffeuse qui arrondit ses fins de mois en dansant nue dans une discothèque, et rêve d'une nouvelle vie à Paris; l’ex-Général Yervanth, le filou, qui ferme les yeux sur le trafic lucratif de médicaments (dans un pays où la couverture sociale n'existe pas et où les soins sont réservés aux riche); Sarkis Arabian, le diplomate pas vraiment clair sur les personnes qu’il fréquente. Chacun de ces personnages incarne une petite part de l'Arménie d'aujourd'hui, pauvre et joyeuse, dangereuse et pleine d'espoir. Déjà vue pour ceux qui ont la curiosité de voir les rares films de cette région du bout de l'Europe. Le pragmatisme fait face au matérialisme. Le contraste est parfois saisissant, peut-être même à l’excès, lorsque Anna se balade en tailleur et escarpins dans les montagnes jonchées de cailloux.
Dès le début, avec son caractère tranchant et tellement sûre d’elle, on pense qu’Anna ne comprendra jamais pourquoi son père l’a emmenée sur les traces de ses origines. Mais finalement, son parcours s'effectue sur le mode de l'imprégnation et de la sensation ; ainsi elle devient peu à peu cette "Française d'Arménie" qu'elle n'avait jamais voulu être (ou jamais eu conscience d’être), cette fille de là-bas, plongée dans le chaos du flou identitaire, face à la mosaïque multiforme que constituent les différents visages d'une même société. Mais une fois encore, sans vouloir faire de ce retour aux sources cinématographiques une revendication identitaire (contrairement à Atom Egoyan dans Ararat), Robert Guédiguian joue maladroitement avec l’héritage historique de l’Arménie. Comme lorsque ses personnages prennent les armes (pacifiquement) pour tirer des salves de joies patriotiques et indépendantistes sans autre but précis que de montrer la fierté des Arméniens à s’être battu pour leur liberté face aux Turcs. A ce sujet, il est tout de même impensable d’imaginer cette cardiologue, née dans un pays où la guerre n’existe plus depuis longtemps, tirer avec un fusil mitraillette comme si elle avait fait ce geste toute sa vie.
Peut-être Guédiguian aurait-il dû s’en tenir à la ligne directrice de la scène d’exposition et du prologue entre la fille et son père pour raconter son histoire. Ce simple face à face en dit plus que toutes les péripéties romanesques et roccambolesques. Car à force de profusion d’éléments, le jeu des acteurs s’en ressent et finit par devenir faussé, voire peu crédible. Le plus sincère d’entre eux reste le talentueux Gérard Meylan, qui semble être le seul à faire preuve de conviction dans son rôle.
En résumé, un sujet qui somme toute n’est pas nouveau, des situations disproportionnées, un final saugrenu mais une émotion garantie grâce à des paysages superbes (dont plusieurs jolis points de vue sur le Mont Ararat enneigé), une musique dépaysante à elle seule et quelques répliques qui prêtent à sourire.
 
Marie

 
 
 
 

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