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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Les Berkman se séparent (The Squid and the Whale)
USA / 2005
12.07.06
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LA GUERRE DES NERFS
« Vous irez chez papa les lundi, mardi, samedi et un jeudi sur deux… »
Si l’Amour est un des sujets favoris du cinéma, il semblerait que les disputes et les séparations soient de nouveau le thème à la mode pour les cinéastes ces dernières années. Bernard Rapp avait mis Yvan Attal et Sandrine Kiberlain dans une mauvaise posture sentimentale dans Petit jeu sans conséquence, Cédric Khan invente une situation effrayante pour Jean Pierre Darroussin et Carole Bouquet dans Feux Rouges, et dernièrement, Jennifer Aniston cohabite avec son ex par pur enfantillage dans La Rupture. Il est évident que ce thème a été de maintes fois abordé (dès 1990, la guerre psychologique entre Michael Douglas et Kathleen Turner dans La Guerre des Rose a fait couler beaucoup d’encre), mais cette fois-ci le chemin scénaristique choisi en fait un film singulier. Derrière un titre plutôt insipide et un synopsis peu attrayant se cache une des plus belles surprises de l’été.
Noah Baumbach, le réalisateur de Les Berkman se séparent, a préféré ancrer son histoire dans l’authenticité, la réalité de la vraie vie, à la façon d’un Ken Loach. Il n’est nullement question de revendications comme l’aurait souligné le réalisateur britannique, mais de montrer quels dégâts peut avoir une séparation au sein d’une famille. Grâce à une caméra si intime, le spectateur s’immisce dans cette famille de Brooklyn des années 80 comme un voyeur qui regarde par le trou de la serrure, croyant assister au divorce d’un vieux cousin. Comme dans la majorité des ruptures, ce sont évidemment les enfants qui pâtissent des histoires des adultes, et c’est à travers leur regard que Baumbach montre à quel point ce sont eux les premiers touchés.
Cette comédie dramatique fait naviguer le spectateur entre rires et larmes. Subtil, sans détour ni mièvrerie, le scénario dissèque la complexité des rapports familiaux, les illusions perdues d’un mariage coulé, les envies inconciliables de chacun, le mal-être des enfants. Les dialogues (dont certains passages risquent de devenir cultes) sont souvent crus, sarcastiques voire très durs ; ils décochent des flèches empoisonnées atteignant leur cible à chaque fois, mais seront tant ancrés dans le réel qu’ils ne pourront qu’amener le spectateur à réagir. On pense à un Woody Allen pour les dialogues mais Noah Baumach possède un style qui lui ait propre, totalement inclassable. A la fois acerbes et drôles, on rit quand il n’y a pas vraiment lieu, on s’émeut de ce qui pourrait être risible. Le ton est furieusement cynique mais tellement juste qu’il est facile de comprendre que le réalisateur s’est inspiré de sa propre histoire pour faire ce film. Tantôt pour le père, tantôt pour la mère… On oscille au gré des paramètres familiaux qui nous sont données. On s’identifie facilement aux enfants, ballottés d’une maison à l’autre, et qui choisissent leur camp malgré eux d’après les vacheries, les manipulations et autres secrets déballés par leurs parents. Il n’y a aucune pitié, tous les moyens sont bons pour dénigrer l’autre. Résultat : l’aîné déteste sa mère, le plus jeune ne veut plus habiter chez son père, et chacun se mure dans une forteresse de sentiments contrastés et de frustration dévastatrice.
Dès ce moment là, les acteurs font preuve d’une incroyable authenticité. Malgré les incursions humoristiques du prof de tennis joué par William Baldwin (qui finit toujours ses phrases par « mon frère »), le malaise des adolescents finit toujours par gagner du terrain et prend le spectateur aux tripes. Entre remises en question et émotion, entre tendresse et colère, les enfants tentent de survivre à cet ouragan comme ils peuvent. Totalement déboussolés, ils redéfiniront leurs propre perceptions de la vie (amoureuse), s’aventurent en territoires inconnus pour tester leurs limites et sensations. Walt, 16 ans, ne sait plus s’il doit continuer sa relation avec sa petite amie sous prétexte de conseils paternels hédonistes (« s’amuser et profiter de la vie »), ce qui lui vaut une tempête neuronale carabinée. Franck, 12 ans, quant à lui, il perd son innocence et se prend pour un adulte (épicurien) avant l’heure en carburant à la bière et au « plaisir solitaire » à toute heure. Owen Kline campe ici le rôle le plus difficile de la distribution. Un enfant, pas encore adolescent, ni tout à fait encore enfant, qui voit son monde s’étioler puis s’écrouler du jour au lendemain. Et Owen Kline malgré son jeune âge, donne le change tant en maturité qu’en gravité. Quant à Jeff Daniels, il signe ici une performance remarquable, loin du déjanté de Dumb and Dumber, et joue avec facilité et talent ce père égocentrique et manipulateur, qui ne se rend pas compte combien il peut être pénible pour ses porches et qui ne pense qu’à briller dès qu’il a un public (même si celui-ci n’a qu’une personnes). Il semble davantage chercher sa place dans ce nouvel univers aussi ardemment que sa place de parking quand il rentre chez lui. Et sa femme qui, sous ses airs de mère aimante, s’avère être aussi vindicative que sans retenue lorsqu’elle parle de ses liaisons devant ses enfants. Un rôle parfaitement joué par Laura Linney.
Une comédie douce amère et cathartique, drôle et bouleversante, qui ne peut laisser indifférent. Il n’y a ni morale ni leçon a tiré de cette famille « banale » qui mélangera faux pas et tendresse inconditionnelle - si ce n’est peut être la force de l’amour filial qui perdure malgré les difficultés. Le film parviendra toutfois à laisser une empreinte originale, composant sur un sujet qui ne l’est pas. Noah Baumbach fait exploser le stéréotype du foyer américain idéal, exposé dans toutes les comédies au sempiternel happy end, dans une période où les mœurs ont d’ores et déjà tant évolué. La femme a envie d’autonomie et de réussite professionnelle et le mariage n’est plus une fin en soi.
On se rapproche davantage de Un Air de famille de Cédric Klapisch, où les secrets familiaux fusent et font mouche que de Mrs Doubtfire de Chris Colombus, où l’amour finit par triompher et le mariage sauvé. Beaucoup pensaient que le cinéma indépendant américain commençait à s'embourber dans un ton moralisateur. Qu’on se rassure : Les Berkman se séparent prouve qu’avec peu de moyens mais beaucoup de talent on parvient encore à étonner, tout en simplicité.
Marie
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