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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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ENTRE DEUX RIVES (DU STYX)
"- Les moines bouddhistes ont raison. Le monde est illusion."
Marc Forster touche à tout. S'il nous avait emballé avec son film A l'ombre de la haine, nous étions plus perplexes sur le consensuel Finding Neverland. Stay nous (en)traîne dans un No Man's Land. Un film entre deux états, seconds.
Ce thriller paranormal intéresse sans palpiter. La folie qui s'en empare nous perd et nous intrigue. La confusion mentale du personnage de Ryan Gosling (toujours à l'aise dans ces rôles à fleur de peau) et ses hallucinations sont partagées avec le spectateur.
Nous sommes immergés dans ce qui devient vite un rêve. On en ressent très vite tous les aspects factices et irrationnels : des choses improbables surviennent, le "fou" est à la fois médium et guérisseur, surpuissant et invincible. Rien n'est normal et c'est la seule chose sur laquelle nous sommes fixés.
Mais le scénario de Stay fait trop confiance aux images. Nous nous laissons insidieusement distraire de cette fascination visuelle. Heureusement la musique (très Requiem for a dream, vers lequel le film louche grossièrement) et les sensations (le Peep club pourrait être une séquence à la Lynch) sauvent le voyeur égaré lorsque le film, lui-même, se paume dans son délirium.
La réalisation n'est pas toujours à la hauteur de son histoire. Parfois simple effet visuel digne d'un bon vidéo-clip, Forster est bien plus inspiré en milieu de parcours, quand tout se mélange. L'esthétique froide est pleinement justifiée, avec cette architecture épurée, rectiligne, clinique, qui se mixera avec un décor presque médiéval de conte de fée surnaturel.
Le montage prend alors tout son sens : les transitions nous leurrent, invisibles ou trompeuses. Les espaces se vident ou se remplissent imperceptiblement. Les illusions d'optiques se multiplient avec frénésie (reflets, miroirs, vitrines, symétrie). Il n'y a bien que les effets déformants qui nous sont épargnés. Les images sont codées à l'excès : personnages jumeaux ou triplés, les répétitions, les allégories... Les instants sont brutalement coupés ou accélérés. Les angles sont obliques et filment des personnages désaxés. Tout y est, tout est pensé : les bonnes citations et les bonnes références : le réel se fond ainsi dans le rêve, muant en cauchemar aliénant (mais factice).
"Quoi qu'il arrive tu sais que je t'aime. ça c'est du réel."
Le mystère est épais mais nous ne nous soucions guère de sa résolution. Ce voyage hypnotique dans le subconscient traumatisé d'un individu (lequel : Gosling ou McGregor?) nous laisse perplexe. Comme à distance. Il faudra le final (où l'artifice devient feu) pour nous réintégrer dans cette dérive psychologique et visuelle. Eventuellement, nous sommes tentés de le revoir mais la peur de se faire avoir nous saisit.
Ce cinéma organique / urbaniste / psychanalytique / labyrinthique morbide comme un Goya et froid comme un Cronenberg est sans doute trop stylisé. Ce dialogue entre le monde des vivants et celui des morts reste un postulat / prétexte à des images techniquement irréprochables mais qui ne nous laissent aussi froid qu'un corps se dévitalisant... Comme ces cicatrices, jolies, qui s'inscrivent dans la chair, ne laissant que la trace d'un mauvais souvenir. Mais aucune douleur n'y suinte... Ni même des sentiments comme la paranoïa, la frayeur, l'obsession. Trop hygiéniquement correct, trop maniéré, Stay n'a pas la dimension d'un fantasme comme Vertigo.
V.
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