|
|
|
JE REGLE MON PAS SUR LE PAS DE MON PERE
"Il y a un moment où un fils doit comprendre certaines choses seul"
Surtout, ne pas se laisser décontenancer par l'omniprésence de la voix-off qui ouvre le film. Le procédé est maladroit, artificiel, rebattu, c'est entendu. Néanmoins, chez Daniel Burman, tout a un sens. S'il place un tel flot de paroles dans la bouche de Perelman fils, son personnage principal, c'est à la fois pour donner la mesure du personnage, partager avec le spectateur sa manière de voir le monde et se faire un malin plaisir de le contredire, images à l'appui, durant tout le reste de l'histoire.
Car Perelman fils est obsédé par son père : il connaît par cœur ses horaires, ses manies, ses petits travers. On le sent critique, presque moqueur. D'où sa tendance à dresser un portrait rigide et triste de son père : un vieil homme perclu d'habitudes qui ne comprend rien à ses aspirations. Et voilà qu'entre en scène Perelman père, perçu cette fois-ci par le regard neutre de la caméra. Souriant, aimant, plein de bienveillance et de bonne volonté. Hors champ, Daniel Burman adresse un clin d'œil au spectateur : divergence de points de vue...
Le réalisateur avait déjà abordé la question de la filiation dans son précédent opus, Le fils d'Elias. Il revient cette fois avec une drôle de comédie tendre et intime sur la difficulté de trouver sa place en tant que fils mais aussi en tant que père. Son personnage principal, sous son apparence de golden boy comblé, traverse une grave crise existencielle, entre son père qui lui demande de suivre sa voie et sa récente paternité. En réalité, il craint autant de ressembler à son père que de lui être parfaitement étranger. Guère étonnant, cette confusion identitaire, chez quelqu'un dont l'identité est tout entière basée sur la filiation : Perelman fils, avatar d'un Perelman père forcément plus grand, plus beau et plus fort.
Justesse des situations
Eternel problème du fils écrasé par l'image d'un père dont il ne peut s'affranchir. Mais les mésaventures familiales sont traitées ici avec finesse. Pas de crise de couple, de secret honteux ou de grande réconciliation émouvante. Juste quelques individus unis par les liens aléatoires de la famille et essayant de faire avec. Des gens qui, comme dans la réalité, ne parlent jamais des choses essentielles et enfouissent leurs sentiments sous des tonnes de non-dits.
Malgré l'apparente banalité du sujet, les situations sonnent étonnamment justes : un anniversaire oublié, une rencontre inopinée dans un square, une pause romantique dans le tourbillon des obligations… Fin observateur, Daniel Burman excelle à capter les sentiments et les émotions sans avoir besoin de les étaler au grand jour. Ses acteurs y sont pour beaucoup, à commencer par Daniel Hendler, le fils, et Arturo Goetz, le père, parfaits dans leur rôle de duettistes fragiles et sensibles.
La scène de l'enterrement, genre pourtant facile à rater, résume admirablement la philosophie du film : pas besoin de dire ou de montrer quoi que ce soit, le bruit sourd de la terre s'écrasant sur le cercueil suffit à exprimer l'ampleur du désarroi des personnages. Pas une once d'hystérie, de l'humour et de la nonchalence à revendre, un vrai sens de la gravité, la famille ne serait-elle plus ce qu'elle était... ? MpM
|
|