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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'homme de sa vie
France / 2006
11.10.2006
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PRIMAIRE
« Parlez-moi d’moi y a que ça qui m’intéresse, parlez-moi d’moi y a que ça qui me donne d’l’émoi ».
Pour son deuxième film en tant que réalisatrice, Zabou Breitman a choisi de parler d’amour. Le film explore deux domaines principaux. D’une part, la recherche par le cinéma de la perfection artistique. La quête du Beau va de pair avec le romantisme et le naturalisme qu’elle souhaite dominants dans le film. Ensuite, la question éternelle de l’amour vrai à travers la rencontre de deux hommes en quête d’identité et qui finissent par s’avouer qu’ils s’aiment. Cet amour vient bouleverser la vie des deux personnages Hugo et Frédéric et remet en cause la vision qu’ils avaient du couple et de la famille. Qu’est-ce qu’aimer ? Le couple est-il la seule réponse à une vie amoureuse authentique ? Des questions somme toute très contemporaines à une époque où nombreux sont ceux qui, arrivés à maturité de leur vie, découvrent qu’ils sont passés à côté de leur existence pour s’être enfermé dans les conventions et les codes dictés la société. Des adolescences à retardement en quelque sorte ! Il ne s’agit pas d’un film sur l’homosexualité, même si l’un des personnages, Hugo, se trouve être homosexuel. (Dit en passant, le choix de l’homosexualité comme porte d’entrée du discours sur la condition humaine peut rester ambigu car il s’agit d’un sujet très porteur au niveau commercial et pour des raisons de marketing). Là où Ang Lee abordait de front la question homosexuelle (Brokeback Montain), Zabou Breitman préfère ici admirer l’affection que se porte les deux hommes et surtout elle s’intéresse à la mise en rapport de chacun des personnages avec un univers plastique et esthétique (la maison, la nature). Elle reprend -volontairement ou pas- le sujet qu’avait abordé Pasolini avec Théorème. Un personnage mystérieux, original (Charles Berling-Hugo) fait irruption dans une famille bourgeoise et vient perturber leur équilibre pour les révéler à eux-mêmes. L’amour entre Hugo et Frédéric reste ici un amour très peu charnel alors que dans Théorème l’amour physique et la sexualité représentent la voie de la révélation des personnages à eux-mêmes. Dans « l’homme de sa vie », la rencontre des deux hommes s’établit principalement par la parole et l’échange. A propos de Théorème Pasolini disait : « Dans une famille bourgeoise arrive un personnage mystérieux qui est l’amour divin. C’est l’intrusion du métaphysique, de l’authentique qui vient détruire, bouleverser une vie, qui est entièrement inauthentique, même si elle peut faire pitié, même si elle peut avoir des moments d’authenticité dans les sentiments, par exemple, dans ses côtés physiques » ( Entretien in Jeune Cinéma n°33, octobre 1968).
L’intrusion de ce « métaphysique », la révélation de l’amour entre ces deux personnes, les fruits que cet amour porte… tout cela précisément manque au film de Zabou Breitman et empêche l’adhésion du spectateur. La réalisatrice revendique un parti pris esthétique et souhaite rester dans le ressenti. Cette recherche du beau à tout prix empêche le film de vraiment « décoller ». La première demi-heure capte pourtant notre attention, à commencer par un générique original projeté sur un mur accompagné d’un très beau graphisme. S’en suit de nombreux plans silencieux et vides de personnages : la nature, les bruits (il faut signaler un excellent travail sur le son), la maison endormie. Le début du film instaure un climat très réussi, plein de mystère (la succession habile des plans semble annoncer une tragédie, un univers trouble et inquiétant). Jouant avec les moyens que lui offre la caméra, Zabou Breitman sait planter des impressions, des touches de vie. Elle fait varier les échelles et use des contrastes (infiniment grand/ infiniment petit ; flou/net ; ombre/lumière) Cependant ce climat ne demeure pas ou finit par lasser. La réalisatrice reste comme fascinée par ce qu’elle filme et fait de son oeuvre une sorte de bel objet qui sombre dans l’esthétisme publicitaire. Le montage, notamment le retour perpétuel de la scène de l’aube comme une sorte de leitmotiv, revient d’une manière forcée et maladroite. A force de vouloir perturber le rythme de la narration, la réalisatrice fait de son film une sorte de catalogue d’impressions et de tranches de vie. Certains dialogues ou répliques ne « passent pas » (« tu sais je ne suis pas inoxydable
Ce parti pris esthétique pourtant était tout à fait justifié à cause de sujet (la recherche de la vérité des sentiments et de l’authenticité de la vie) mais il freine le film et l’empêche d’aborder son vrai sujet : la quête d’identité d’Hugo et Frédéric et en quoi leur amour est ce qui peut les « sauver » c’est-à-dire en quoi ils se révèlent vraiment à eux-mêmes et aux autres. Le film en reste au niveau du constat, il contemple la vie et paraît vraiment abordé son sujet à la fin.
Il est permis de penser que si un François Ozon avait réalisé ce film on y aurait trouvé une œuvre plus en profondeur et avec plus de maîtrise du récit au cinéma. Avec « L’homme de sa vie » Zabou Beitman tombe dans le primat de l’émotion et du ressenti qui caractérise notre monde actuel et empêche d’aller plus au large. Certes pour Zabou ce n’est certainement pas « le film de sa vie » mais l’avantage du cinéma c’est qu’il renaît sans cesse et se transforme. Alors une réalisatrice à suivre ? Pierre Vaccaro
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