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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Ne le dis à personne (Tell no one)
France / 2006
01.11.2006
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L'AMOUR A MORT
« Interrompez-moi encore une fois et cette chienne pissera sur votre carrière »
C'est une scène de repas, animée et joyeuse. Les assiettes sont vides, les verres ont dû être remplis plus que de mesure. Les propos n'ont pas tellement d'importance, seuls comptent cet abandon, cette complicité, cette joie de vivre qui irradie la tablée. Moment magique, prémonitoire, d'un avant qui ne sera plus. Le drame, tapi dans l'ombre, guette. D'ici quelques heures, la vie de toutes les personnes présentes va être bouleversée à jamais.
Cette scène, c'est Guillaume Canet qui l'a voulue : elle ne figure pas dans le roman de Coban. On pourrait la croire anecdotique ou au contraire trop voyante pour être honnête. Mais le fait est qu'elle illustre plus le mode opératoire de Guillaume Canet que l'histoire elle-même. Le réalisateur, on s'en rend compte tout au long du film, est dans son élément dès lors qu'il s'agit de façonner l'ambiance ton après ton, touche par touche, jusqu'à atteindre exactement le bon degré de tension, de mystère ou de noirceur. Cette première scène gratuite fait alors l'impression d'une mise en jambes : dialogues inaudibles, intrigue non encore amorcée, et pourtant on sent un malaise grandissant se mêler peu à peu aux effluves de bonheur. Lorsque la séquence s'achève, il n'y a plus qu'une immense angoisse.
Pas étonnant, alors, que Guillaume Canet ait choisi d'adapter un polar, et justement celui-là : n'est-ce pas le genre par excellence où l'action ne compte pas tant que tout ce qu'il y a autour, atmosphère, psychologie et personnages secondaires en tête ? Car dans les scènes d'action, l'auteur-réalisateur a parfois du mal. Ca tangue, l'image est brouillée, la cadre approximatif et il devient rapidement difficile de savoir ce qu'il se passe réellement. Le spectateur cligne des yeux et attend la suite. Une suite parfaitement maîtrisée, si réussie qu’on en oublie ces moments de flou. Le genre thriller impeccable qui ne relâche jamais sa pression.
Tout le monde est suspect
La manière dont les scénaristes ont choisi de supprimer toute narration à la première personne (dans le roman, c’est Beck qui raconte ce qui lui arrive tandis que les événements auxquels il ne prend pas part sont relatés par un narrateur omniscient) nimbe le personnage principal de mystère et de suspicion. Que sait-il ? Quelle est sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive ? Que s’est-il passé, huit ans auparavant, au moment de la mort de Margot ?
La première partie du film joue de cette confusion en donnant au spectateur le sentiment que chaque personnage en sait plus long que lui. Le point n’est jamais fait sur les événements, laissant Beck aller de l’avant pendant que le spectateur, toujours en retard d’un train, ne sait où donner de la tête. A ses yeux, tout le monde semble suspect. Chacun a quelque chose à cacher, si bien qu’on se retrouve dans la position du héros, en pire : impossible de faire confiance à qui que ce soit, pas même à lui.
Guillaume Canet aurait pu compenser cette opacité avec des dialogues, des plans appuyés et explicatifs, mais au contraire, il s’en amuse, renforçant par sa mise en scène les doutes, le trouble et les interrogations sans réponse. Il faut ainsi un moment, qui semble interminable, pour apprendre, par bribes, ce qu’il est réellement advenu de Margot. Les différents éléments du puzzle se mettent très lentement en place, sans jamais simplifier la compréhension. Guillaume Canet, et c’est suffisamment rare pour être souligné, a une parfaite confiance dans l’intelligence de son spectateur.
Renaissance
En appliquant le sentiment d’urgence du héros à sa mise en scène, Guillaume Canet fait la part belle à l’implicite et préfère se concentrer sur les à-côtés de l’intrigue. Emboîtant les pas du roman qui nous demande de croire en l’impossible (la résurrection d’une morte), il met en valeur l’aspect éminemment romantique de l’intrigue. Beck, par certains côtés, semble vivre un cauchemar (poursuivi, harcelé, torturé). Mais au fond, toute cette aventure est pour lui avant tout un rêve car elle lui offre une denrée merveilleuse : l’espoir. Mieux, la foi. Quelle que soit la force des arguments qu’on lui oppose, il est prêt à se raccrocher à n’importe quelle explication irrationnelle pour croire au retour de sa femme. Peu importe que ce retour soit entouré d’événements plus terrifiants les uns que les autres, peu importe que cela remette en cause tout son univers, rien ne peut être aussi horrible que cette existence vide dans laquelle l’a enfermé la mort de Margot. Si elle est vivante, il peut revenir à la vie lui aussi.
D’où cet impression qu’il en redemande : malheureuse marionnette animée par des forces qui la dépassent, comme tout personnage de polar pris dans un engrenage que rien ne peut plus arrêter, Beck va au devant de son destin en ne cherchant ni à se protéger, ni à fuir. Il n’a absolument rien à perdre à la découverte de la vérité. Au pire, cela ravivera juste d’anciennes douleurs tandis qu’au mieux, il peut y gagner la renaissance. Forcément, le jeu en vaut la chandelle.
Pour réaliser sa quête, Beck ne pouvait pas être seul contre tous. Il ne pouvait pas non plus être trop entouré. Harlan Coban avait choisi de faire graviter autour de lui une galerie de personnages secondaires apportant énormément de chair à son intrigue. Fidèle, Guillaume Canet leur donne une réelle épaisseur psychologique et s’entoure d’acteurs talentueux qui, tous, apportent quelque chose au film. Les scènes entre Beck et sa meilleure amie Hélène (Kristin Scott Thomas, loyale et rationnelle) permettent ainsi de l’humaniser et de relâcher la trop grande tension qui traverse le film. Mais tous sont pareillement indispensables : de Jean Rochefort, magnat mystérieux et altier, à François Berléand, flic pointilleux et patient, en passant par la toujours parfaite Nathalie Baye en avocate ironique et cassante, chacun participe à rendre crédible cette intrigue abracadabrante.
Tour à tour thriller, film choral ou tout simplement tragédie romantique, Ne le dis à personne transcende les genres et réconcilie tous ceux qui pensent que les adaptations de roman sont forcément ou serviles ou ratées. Il n’y a plus qu’à le dire à tout le monde.
MpM
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