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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Le dernier des fous
France / 2006
03.01.2007
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FLUIDE GLACIAL
Une claque. Pas spectaculaire ou pédagogique, juste cinglante. De celles qui résonnent longtemps dans les esprits, bien après que la douleur se soit estompée. Laurent Achard place sa caméra à hauteur d'enfant et observe bien en face la saloperie du monde et la folie des hommes. Chacun de ses angles de vue (un trou dans une porte, la trappe d'une grange, une fenêtre…) est ainsi choisi pour suggérer le regard de son personnage principal sur ce qui apparaît à l'écran. Tout ce qui frappe notre rétine est amplifié mille fois sur les siennes. Car Martin est une éponge qui s'imbibe de tout ce qu'il voit et qui absorbe lentement mais sûrement toutes les émotions des autres. Privé du garde-fou de l'âge, de l'expérience, ou même d'un soutien un peu amical, il est confronté directement, sans distance, aux problèmes incommensurables des adultes et à la douleur qui les ronge. Alors il prend sur lui la souffrance de son frère, l'impuissance de son père, le mal-être de sa mère, emmuré dans son silence et dans sa solitude.
La violence est là, feutrée et presque policée, sans cesse reléguée hors du champ de vision de l'enfant (et du spectateur) mais constamment présente par le son. Le réalisateur accomplit tout un travail sur les bruits, les cris perçus dans le lointain, les conversations espionnées bien malgré soi qui emplissent l'univers auditif de Martin. Rien ne vient brouiller ces sons, puisque le film ne contient pas une note de musique. Ils nous parviennent donc bruts et entiers, sans fards, véhiculant une violence plus pernicieuse que celle que l'on voit. Une violence que l'on devine, que l'on éprouve, et qui finit par tout envahir.
On assiste alors à une montée en puissance des émotions : rejet (par la mère, par sa copine Jacqueline), peur (de grandir, de mourir), frustration (personne ne l'écoute), douleur (celle du frère, muette, celle de la mère, féroce), colère (d'être sans arrêt malmené et trompé) et enfin haine, une belle grosse haine déchaînée envers tout ceux qui lui ont fait du mal. Martin étouffe de haine. Peu importe, au fond, quelle goutte fait déborder le vase. Laurent Achard ne cherche pas plus à expliquer trop franchement son comportement qu'il ne donne d'éléments sur les autres membres de la famille ou sur le climat délétère qui règne auprès d'eux. Il mise donc sur la sobriété, l'économie de mouvements et de paroles (même dans les moments les plus dramatiques, Martin ne s'arrache pas un cri), la fixité des plans. Avec trois fois rien, il montre le cheminement des émotions dans l'esprit de son jeune héros, jusqu'au point d'explosion.
Bien sûr, les choses ne peuvent se régler dans le dialogue, car dans cette famille on ne communique pas sur ce qui est important, jamais. C'est à peine si l'on réagit face à la mort ou à une catastrophe. Les sentiments restent calfeutrés bien au chaud dans des cœurs secs et vides. Rien ne s'exprime par des mots ni par des gestes, et Laurent Achard le capte magnifiquement dans des scènes épurées et froides, à la nudité honteuse. Sans doute ces gens-là n'ont-ils rien à offrir. Ils ne reçoivent donc rien en échange, sinon un film âpre et crépusculaire en guise d'éloge funèbre.
MpM
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