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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Confessions of a dangerous mind (Confessions d'un homme dangereux)
USA / 2002
11.06.03
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SPY GAME
"- Je viens de baiser avec un batteur black. Je suis oeucuménique, la semaine dernière c’était un oriental."
Animateur de jeux télévisés ça tourne souvent mal. Et le cinéma s’en délecte, comme d’une vengeance sur la bêtise humaine, du haut de son statut de septième art. Redford (The Quiz Show), Anderson (Magnolia), Schrader (Autofocus) : la perversité, la tricherie, l’artifice hypocrite sont autant d’indices pour composer un personnage haut en couleur dans notre univers décadent digne du déclin de l’empire romain (et ici, américain), spectacle pour prendre des pains et gagner aux jeux. Divertir en se faisant humilier.
De fait, c’est ce que nous montre Clooney, avec cette première réalisation : le nivellement par le bas du petit écran, les prémices de cette télé virtualité. Cette télé par le pas, "c’est ce que veut le public", déjà à l’époque. Mais il nous prouve aussi à quel point le cinéma est un vecteur d’élévation bien plus fort.
Car cet ensemble ne manque pas d’ambitions. Dès les premiers plans, nous comprenons à quel point son alliance avec Soderbergh (en tant que producteurs mais aussi dans le rapport comédien / cinéaste) paraît évidente. La narration n’a rien de formater, le travail de l’image est particulièrement soignée, et le sujet n’a rien de politiquement correct. Le corps nu et le visage pas rasé, l’excellent Rockwell - surtout quand il s’enfonce un microfilm dans le cul - nous compose d’entrée de jeu - c’est le cas de le dire - un personnage en pleine déchéance, une vie désenchantée.
Cette "sorte de conte moral" ne juge jamais les travers de ce mythomane aux frontières du réel. Dans le même registre, Spielberg nous faisait une course-poursuite allant vers la vérité et la rédemption de son menteur dans Catch me if you can. Clooney, lui, préfère se concentrer sur la vie schizophrène du protagoniste (double vie, double fille), explosant le récit en plusieurs points de vue (y compris des amis du vrai Barris), sans jamais le juger, ni chercher qui a raison. Il laisse au spectateur le soin de démêler le vrai du faux, le bon du mauvais. Le "docu-réel" se mixe à une fiction déjantée.
Clairement, le regard le plus cynique est porté sur l’homme de télé, au point de faire passer le criminel comme un doux ange (exterminateur). Le producteur, créateur et animateur devient vite un monstre dénué de culture, avide gloire. Nous voici plongés dans une société de lunaparcs, des shows de variété à forte odeur de sexe, un monde d’irresponsabilités et de superficialité. Le plus intéressant est sans doute la vision personnelle, propre à Clooney : un regard acide sur les m¦urs (où il aspire à une totale liberté) et un refus amoral des conventions (sa critique du mariage, comparé à un enterrement, est typiquement Cloonesque).
Mais ce n’est pas tout. Son opinion sur le patriotisme bête et méchant, la satire cynique sur la censure castratrice (notamment par la peur), renvoie au néomacarthysme et aux excès d’après guerre qui trouvent un écho dangereusement contemporain. Lascif et subversif, ce film à un humour certain. Nous sommes dans la tête de Chuck Barris, et donc dans son esprit fortement imprégné de provocation. Il aurait pu être insidieux, méprisable, à la vue de ses créations audiovisuelles répugnantes. D’autant que ce "bio-film" n’est pas hagiographique. Mais le cinéaste n’hésite pas à nous faire sombrer avec le héros, dans ses déboires. Car l’envers du décor est loin d’être festif et bigarré.
C’est aussi la faille du film : il a tendance parfois à se relâcher, à glisser vers sa fin en demeurant fumiste. Quelques superbes plans (Clooney au bord de la piscine, le somptueux duel final entre Rockwell et Roberts) parviennent à reprendre le dessus, mais la dernière partie est beaucoup moins équilibrée et rythmée que la première heure. Là, le spectateur se régale avec une Drew Barrymore à son meilleur niveau, l’arrivée de la femme fatale, incarnée par Julia Roberts (qui a un coup de langue délicieux), les caméos muets de Brad Pitt et Matt Damon...
Dans cette oeuvre noire on tombe amoureux en se récitant du Nabokov et du Shakespeare et on met sa vie en péril quand une femme mystérieuse vous lance un "Kill for me, baby". Ça a évidemment plus de gueule que la plupart des films actuels. Hommage (macabre). Mais pas seulement.
Il révèle aussi que l’acteur Clooney aime un cinéma en passe de disparaître, et quand il produit Haynes, les Coen ou Soderbergh, il en rajoute une couche supplémentaire. Quand il fait dire "Qui aurait cru que tant d’Américains attendaient ça pour être ridicules à la TV ?", il nous invite à sa désillusion sur le cinéma et son avenir. Pour cela ses Confessions valent d’être attentifs. vincy
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