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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Contre-enquête
France / 2007
07.03.2007
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PRESUME COUPABLE
"Pour ne pas devenir fou, on oublie, on pardonne."
Voilà un moment qu'on l'avait constaté, le polar français est en pleine mutation. N'essayant plus de singer les grosses machines américaines, à grands renforts de cascades et de coups de revolver, il se tourne de plus en plus fréquemment vers un cinéma intimiste, du quotidien, qui montre de la réalité des enquêteurs les aspects les moins spectaculaires à l'image de l'enquête de proximité du Petit lieutenant de Xavier Beauvois ou de la rivalité entre deux chefs de brigade dans 36 quai des orfèvres d'Olivier Marchal.
Ancien flic lui-même, et habitué à travailler sur des scénarios policiers, Franck Mancuso suit la tendance. S'appuyant sur la connaissance qu'a le grand public de l'imagerie traditionnelle des enquêtes de police (planques, arrestations, interrogatoires…) ainsi que sur sa sensibilisation à une réalité moins glamour (l'aspect administratif du travail, le temps passé à attendre, les dossiers qui s'empilent…), il peut se permettre une mise en situation totalement minimaliste. Chaque scène "de genre" est alors stylisée à l'extrême (l'arrivée du prévenu et sa mise en examen résumée par une journaliste, la vitre sans tain de la salle d'interrogatoire, le réquisitoire de l'avocat…) mais suffit à suggérer en quelques images tout le processus policier. Le réalisateur joue de cette complicité avec le spectateur, qui reconstitue de lui-même les chainons manquants, pour montrer presqu'immédiatement que contrairement à ce que suggère le titre, l'enquête, ici, n'est pas le sujet. Peu importent les méthodes, les étapes, les indices. On ne saura jamais comment la Crim a mis la main sur Eckmann, le coupable idéal, ni sur la manière dont elle a obtenu ses aveux.
Ce qui compte, ce qui passionne Mancuso, et son spectateur avec lui, c'est le doute, insidieux, qui s'instille. Et si Eckmann était innocent ? Ou s'il était coupable, feignant d'être innocent ? Ou si encore il était innocent, mais prenant un plaisir pervers à être la victime d'une erreur judiciaire ? Voilà où se situe le cœur du film, dans ce trouble psychologique, ce bras de fer qui ne dit pas son nom, entre la conviction d'un père qui recherche simplement la paix et le doute d'un professionnel qui ne veut pas d'un faux coupable. Le film interroge la frontière entre justice et vengeance et pose la question de la survie : comment effacer une peine aussi grande que la perte d'un être cher ?
Franck Mancuso n'apporte pas de réponse, bien sûr. Dosant savamment l'émotion (toujours retenue) et le suspense, il enchaîne les scènes sèches et signifiantes, jamais gratuites, comme autant de pièces d'un puzzle qui ne se dévoile qu'à la dernière seconde. Contre-enquête s'avère alors d'une texture bien moins classique qu'il n'y paraît et même l'intrigue prend grand soin à ne jamais se cantonner à ce qu'elle semble être. On se laisse bluffer et manipuler avec un plaisir certain, portés par un Jean Dujardin absolument crédible en flic désespéré et un Laurent Lucas plus ambigu que jamais en condamné trop coupable pour être totalement innocent.
MpM
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