Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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El Custodio (Le garde du corps)


Argentine / 2006

04.04.2007
 








L’HOMME DE L’ARRIERE PLAN

Rejeté par le cadre, étouffé par l'image, homme sans horizon, il ne touche la vie qu’avec les yeux. Lui n'a pas droit à l’existence. Il doit surveiller celle des autres. Lui, c’est Ruben, le garde du corps. Personnage central du premier film remarqué et très primé de Rodrigo Moreno qui confirme la force du cinéma argentin d’aujourd’hui.

Ruben est le garde du corps du Ministre de la Planification. Il doit le suivre partout y compris dans sa vie personnelle. Il est très professionnel mais il travaille dans la plus complète discrétion et surtout dans une solitude extrême.
Le cinéaste développe un projet unique de scénario : montrer l’enfermement psychologique du personnage, sa solitude, ainsi que sa souffrance qui le mèneront à l'inéluctable tragédie. A partir de cette idée force, le réalisateur a pris un plaisir non dissimulé à transcrire pour l’écran l’intériorité souffrante de son personnage principal, en en faisant le seul et unique point de vue du film. Rodrigo Moreno garde cette ligne de conduite et parvient à développer son cinéma. Un univers visuel homogène et original qui force l’admiration. Dans ce film très étudié et très bien construit, il décrit l’isolement de Ruben ainsi que sa coupure d’avec l'univers qui l’entoure. Plongeant dans la conscience intérieure du personnage, le film nous fait aussi entrer dans l’absurdité de sa situation professionnelle. Ce ministre a-t-il vraiment besoin d’être surveillé ? Comment Ruben peut-il supporter sa condition et les humiliations qui en découlent?
Dès les premières secondes, on sait qu’on a à faire à du cinéma et que l’on va vivre une tragédie. Premier plan: Ruben revêt son équipement dans la salle de bain. Il apparaît, de loin, debout derrière une porte entrebâillée. Tout le reste de l’image est plongé dans le noir. Le personnage est étiré, compressé, isolé, littéralement étouffé dans le plan. Moreno poursuit ce travail de déconstruction visuelle du personnage tout au long du film. Il «malmène» son anti-héros dans le cadre. Arrière-plans, flous, découpages du corps en gros plan, hors-champs, plongées, voix-off, perspectives obscures, surexpositions, le film exploite (de manière parfois un tout petit peu forcée) la palette des techniques du langage cinématographique pour exprimer le message clef du film: Ruben est rejeté de ce monde, il n'a pas de place. Par le biais d’un maniement habile de la profondeur de champ, Moreno se sert de l'objectif pour signifier le rejet d’un être dans le milieu où il évolue. Il filme la distance et l’éloignement d’un homme, sans jamais décoller de son sujet. La profondeur de champ pour Moreno c’est l’exclusion et l’inexistence signifiées du garde du corps. L’acteur n’est quasiment jamais filmé dans son ensemble. Nous ne recevons que des bribes de son humanité, des lambeaux d'images de son corps, des sons qui nous signalent sa présence. Perdu dans des décors et des arrières plans aux lignes verticales (portes, lignes tranchées, décors urbains standardisés, parkings), le personnage est «encastré» dans un univers visuel régi par les codes et les géométries spatiales arides. La seule ligne de vie qui pourra le faire respirer sera celle de la mer, unique horizontalité du film, court instant de liberté. Ainsi Ruben est inexorablement prisonnier d’une vie toute tracée, piégé dans un engrenage psychologique qui le mène au dénouement attendu.
Cet univers de cinéma crée très vite un climat dense, dominé par une tension qui va crescendo et qui s'avère écrasante pour le spectateur. Le célèbre Julio Chavez joue avec brio l'angoisse et la claustration de Ruben. Petit à petit nous plongeons dans le silence et l’isolement de ce garde du corps, partageant intimement sa déréliction profonde, sa soumission, allant même jusqu’à comprendre logiquement son geste fatal. Ce final est la seule issue qu'il trouve, son espace de liberté, un des gestes qu’on lui aura certainement appris durant sa formation.

Une tragédie, certes, une idée simple de scénario, certes mais une esthétique soignée pour une heure et demi de pur cinéma : un régal pour le cinéphile.

 
Pierre

 
 
 
 

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