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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Ne touchez pas la hache
France / 2006
28.03.2007
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LA COQUETTE ET LE RUSTRE
"La religion dura trois mois."
Film après film, Jacques Rivette prouve que l'on peut être cinéaste sur la durée sans cesser d'être un novateur qui réinvente et le cinéma et son époque. Dans Histoire de Marie et Julien en 2003, le réel et l'imaginaire se mêlaient pour raconter une étrange histoire de survie, ou plutôt de renaissance, avec une poésie sensuelle et mordante qui bouleversait tout. Quatre ans plus tard, Ne touchez pas la hache prend presque le contrepied avec une adaptation à la texture classique mais au propos étonnamment singulier qui montre des personnages se perdre et en mourir. Marie et Julien n'espéraient plus rien et trouvaient l'amour, la Duchesse et le général veulent tout, et ne trouveront que la mort. A croire que même d'un film à l'autre, Rivette aime les correspondances et les structures inversées.
Sa relecture ô combien fidèle de La duchesse de Langeais d'Honoré de Balzac est elle-même construite en quatre temps qui symbolisent les flux et reflux de cette passion amoureuse asynchrone. Le Général aime la Duchesse ? Elle se refuse à lui. Il la fuit, désormais délivré de cet encombrant amour ? Elle le pourchasse de ses assiduités, sacrifiant tout pour le reconquérir. Elle s'enferme au couvent ? Il est prêt à mettre le pays à feu et à sang pour la retrouver. Il la retrouve, morte, et possède enfin ce corps qu'il chérissait tant ? Au lieu de lui élever un mausolée sur lequel se lamenter (ou quelque chose d'approchant) il la rejette à la mer et décide de l'oublier. Disséquer les échecs amoureux de ses semblables n'empêche pas l'ironie, et l'on sent à la vision de ce film, comme à la lecture du roman de Balzac, une discrète dérision à l'encontre de cette aristocratie en bout de course. Une dérision renforcée par l'usage que Rivette fait des cartons : ceux-ci ne donnent pas d'indications temporelles précieuses ("le lendemain, donc") mais servent surtout à faire entendre la voix de Balzac comme en écho.
Abandon de soi
Car Rivette, en puriste, s'efface sans complaisance ni fausse modernité derrière le texte et les enjeux du 19e siècle. Pas question de prétendre remettre au goût du jour une histoire irrémédiablement datée : pour un spectateur du 21e siècle, les raisons qui poussent la Duchesse à se refuser au général sont on ne peut plus obscures. L'hypocrisie religieuse, la peur du qu'en dira-t-on et les badinages mondains ne trouvent pas la même résonnance dans notre société que lors de la Restauration. Paradoxalement, cette histoire d'amour presque absurde en sort renforcée, plus universelle que jamais dans la violence des sentiments (orgueil en tête) et la perte de contrôle absolue des personnages sur leur destin.
Cet abandon de soi qui préside au réel amour est perceptible dans l'évolution de la mise en scène. Lors de la première partie du flash-back, l'action se déroule en atmosphère confinée, dans ces salons empesés et étouffants où l'on parle pour ne rien dire. Les scènes extrêmement statiques trahissent l'intériorité de personnages immobilisés par les conventions sociales et comme coupés du monde réel. La Duchesse, avec sa voix éthérée, sa coquetterie et ses badinages incessants tente de mettre en scène sa vie comme dans un théâtre. Les dialogues sont ampoulés et pesants, ennuyeux à en mourir. Rien de sincère ou de spontané ne vient égayer les tristes face à face des deux amants. On apprécie la beauté de la langue (la finesse des allusions perfides, le chant des mots qui s'entrechoquent, la violence secrète des reproches…) tout en en percevant le calcul, la vacuité. La Duchesse et le Général se jouent une comédie pour masquer l'orgueil et l'esprit de compétition qui les animent.
Exigence, beauté et grâce
Lorsque les rôles s'inversent dans la seconde partie du flash-back, la mise en scène s'allège, l'intrigue s'aère, les personnages s'extirpent de leurs salons pour parcourir des couloirs, des corridors et finalement atteindre l'extérieur. Toutes ces portes franchies les yeux bandés permettent à Antoinette de lâcher prise et de se défaire de tous les oripeaux sociaux qui la maintenaient prisonnière. Une fois libérée, elle accepte de se donner telle qu'elle est. C'est alors la séquence du dernier repas, puis du trajet en voiture et enfin de l'attente solitaire dans la rue. Cet ultime dépouillement lui donne la force du renoncement définitif, celui qui la retire du monde et la conduit au couvent. Passant d'une prison à une autre, elle trouve pourtant une forme de liberté, symbolisée par les nombreuses scènes d'extérieur qui parsèment les séquences d'ouverture et de clôture du film, jusqu'à la délivrance finale.
Adapter ce roman de Balzac était sans doute un pari un peu fou, mais Rivette aime jouer la carte de l'exigence. Quitte à livrer une œuvre tellement française (dans sa forme, son texte, ses références) qu'elle passera mal les frontières, malgré l'universalité du média cinéma. Alors, puisque nous seuls en détenons la clef, sachons apprécier la fulgurance et la beauté de cette Duchesse de Langeais revisitée. MpM
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