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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Exilé (Fong Juk) (Fangzhu - Exiled)
HongKong / 2007
11.07.2007
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FULLTIME LOSERS
"Je dois te tuer. Quelle est ta dernière volonté ? "
Johnnie To aime les histoires d'amitié et de loyauté et, film après film, montre que ce sont bien les seules choses qui peuvent encore sauver les hommes. Dans son œuvre la plus profondément pessimiste, le diptyque Election, n'était-ce justement pas cette absence de fraternité qui conduisait à l'horreur brute et absolue ? Avec Exilé, il revient à un mode moins désespéré, mais tout aussi efficace, où l'on reconnaît à la fois son esthétique inimitable et son ton si particulier, mélange contre-nature de tragédie antique et d'auto-dérision burlesque. Avec en prime de nombreuses références au western et une thématique nouvelle, celle de l'exil et de l'abandon.
Chacun des personnages, en effet, a quelque chose à fuir : son passé, sa condition, ses promesses… Mais l'exil n'est pas suffisant, puisque l'on vous retrouve toujours. Aussi faut-il, à un moment ou un autre, affronter ses démons. Comme souvent chez To, il s'agit de prendre ses responsabilités. Quitte à ce que tout le monde meurt. Mais aucune importance puisque l'honneur, lui, est sauf. Un peu dérisoire ? C'est ainsi que Johnnie To voit le code d'honneur des triades et des gangs mafieux en général et qu'il le dépeint à intervalles réguliers depuis vingt-cinq ans. Pour lui, il n'y a rien à idéaliser dans le comportement de ces hommes plus à l'aise une arme à la main que dans la réflexion. Il s'en moque même plus que jamais en les faisant décider à pile ou face de la direction à prendre, de leur implication dans un braquage et même du sens de leur vie. Pas de romantisme exacerbé de sa part mais au contraire une certaine cruauté dans sa manière de manipuler et de traiter ses personnages (une balle dans les bijoux de famille pour le grand chef, un blessé sur lequel on fait du tir au pigeon, un avenir radieux obscurcit en un seul coup de fil…). On retrouve là la rudesse du western, sa mélancolie (les thèmes joués à l'harmonica), son humour noir (à la Sergio Leone) et la promesse de jours meilleurs qui s'achève presque toujours dans un bain de sang…
D'ailleurs, certaines scènes d'action sont si stylisées qu'elles en deviennent vides de sens, quasiment abstraites. Une allégorie de gunfight, en quelque sorte, où cela tire de partout dans un fracas indescriptible tandis que des nuages de sang s'épanouissent en pluie fine. Cela tient aussi au fait qu'aucun personnage n'est privilégié puisque seule l'action collective compte. Comme dans The mission (auquel le film ne manquera pas d'être comparé : acteurs semblables, intrigue qui semble se poursuivre de l'un à l'autre, image infantile des gangsters…), le groupe est à l'honneur, condition sine qua non de la réussite et du bonheur. Ainsi ces scènes légères qui tranchent avec la noirceur et l'absurditité des autres, où les cinq amis rient autour d'un repas ou d'un feu de camp, insouciants et joyeux. Dans ces moments-là, Johnnie To met de côté ses sarcasmes pour donner libre cours à la vie, tout simplement.
Car malgré les cadavres et le sang, la vie est bien présente dans Exiled, ne serait-ce qu'au travers du fils de Wo, nourrisson étranger aux luttes qui se jouent autour de lui, et de sa mère. Celle-ci est particulièrement intéressante car elle représente une figure novatrice dans la filmographie de To (à qui l'on reproche souvent de ne filmer que des potiches ou des femmes-alibis), celle de la guerrière farouche qui, son enfant en bandoulière, se fait vengeance toute seule. Bien sûr, on voit clairement que les jeux destructeurs des hommes ne la concerne pas et qu'elle n'en maîtrise pas les codes. L'amitié virile entre victimes et bourreaux ne lui est pas intelligible. Pourtant, elle prend sa part dans la bataille et, au final, c'est elle qui s'en sortira le mieux. Madonne moderne, elle laisse les hommes s'entretuer, puisqu'ils ne sont bons qu'à ça. Les scènes finales sont ainsi parcourues tour à tour d'un souffle quasi-épique, d'une ironie mordante et d'une légéreté joyeuse.
Un cocktail que, forcément, le réalisateur met à sa sauce visuelle, c'est-à-dire images léchées, caméra douée de vie propre et chorégraphies impeccables. Rien n'est cadré au hasard et le spectateur se voit presque toujours offrir le meilleur point de vue possible sur l'action. Jouissif, évidemment, mais aussi passionnant, comme une leçon de mise en scène à destination des néophytes. Certaines séquences mouvementées (celles du restaurant et de l'hôpital, notamment) méritent même d'être regardées plan par plan pour mieux en apprécier la maîtrise. Style, savoir-faire et divertissement, l'inimitable marque de fabrique de To. MpM
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