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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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This is England
Angleterre / 2006
10.10.2007
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GOD SAVE THE QUEEN
"Combien met-on de personnes dans une mini ? Deux devant, trois derrière, et ton père dans le cendrier !"
Shane Meadows, qui a embrassé la culture skinhead lorsqu'il était adolescent, lui rend avec This is England un hommage discret et personnel. Sa ligne de conduite ? Eviter tout jugement moral ou tout sentimentalisme en épousant dès le départ le point de vue de son jeune héros, Shaun, propulsé comme lui dans une bande de skinheads à l'âge de douze ans. A travers son regard, on découvre ainsi une jeunesse un peu désoeuvrée, vaguement bagarreuse, mais surtout accueillante et joyeuse. Ce qui frappe avant tout, c'est l'importance que ses membres donnent aux notions de groupe, de solidarité et d'appartenance. Une forme de loyauté et de responsabilité, aussi, quand Woody (le chef) tente de protéger et de consoler Shaun.
Après une enfance que l'on devine solitaire et maussade, Shaun se reconstruit donc une nouvelle famille et trouve sa place. Les rites d'initiation sont gais et valorisants : adopter la coupe de cheveux, puis la tenue vestimentaire réglementaires qui lui est offerte par le mentor du groupe, participer aux virées débridées dans les bâtiments désaffectés du coin, connaître les premières soirées et les premiers amours… La contre-culture skinhead en tant que telle apparaît bon enfant, joyeuse et sécurisante. Même la mère de Shaun accepte ainsi sans sourciller qu'il en revête les signes, hormis la coupe de cheveux, et le confie à Woody.
Mais ce vert paradis ne dure pas. Au début des 80's, le mouvement skinhead, s'il connaît depuis peu une résurgence, subit surtout une mutation profonde, symbolisée dans le petit groupe par l'arrivée d'un nouveau leader potentiel, le mystérieux Combo. Celui-ci prône un nationalisme exacerbé et revendique une action violente. Pour Shaun, l'heure du choix a sonné. On voit bien ce que le discours enflammé et patriotique de Combo peut avoir de séduisant pour lui : identification d'un "ennemi" responsable de ses malheurs, exaltation de valeurs viriles rassurantes, chimère d'une action juste et noble qui lui permette de venger le "héros" paternel mort pour la patrie…
Ces deux phases dans l'apprentissage de Shaun mettent en perspective les deux orientations contradictoires du mouvement skinhead, mais le réalisateur ne cherche à faire ni dans l'exemplarité, ni dans l'universel. Le récit revient alors à une forme plus intime centrée sur les personnages-clef du groupe et oubliant l'Histoire. Malheureusement, il se perd parfois en chemin (l'histoire d'amour superflue entre Combo et la petite amie de Woody) et, laissant de côté Shaun, prive le spectateur non initié de son guide/décodeur de la culture skinhead. L'enjeu du face à face final entre Combo et Milky (d'origine jamaïcaine) échappe ainsi presque entièrement à celui qui ignore les origines du mouvement skinhead. Shane Meadow ne joue pas sur l'opposition Noirs/Bancs, mais justement sur ce qui, à la fin des années 60, les avait unis dans la contre-culture skinhead : une proximité sociale, un goût commun pour la musique et une fierté partagée d'appartenir à l'Empire britannique. Moins de vingt ans après, c'est Saint George Cross (le drapeau anglais) que brandit Combo, et seule l'Angleterre, pure et homogène, lui importe. Sous le regard effaré de Shaun, le mouvement skinhead prend un tournant qui bouleverse sa propre existence. Pas moralisateur, Shane Meadows, mais suffisament malin pour voir au-delà du simple récit initiatique ou même simplement autobiographique, quand la petite et la grande histoire se croisent et s'entremêlent pour témoigner d'un passé pas forcément glorieux, mais qui est le nôtre. MpM
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