Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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La ruée vers l'or (The Gold Rush)


USA / 1925


 



POUR TOUT L’OR DU MONDE





Look grunge Si l’enfance conditionne l’existence d’un homme, si cette période éponge constitue le terreau créatif d’un artiste, alors le destin de Charlie Chaplin en est la preuve la plus édifiante, la plus éblouissante.
Ce futur Dictateur du septième art qui prend la terre pour un ballon naît dans un quartier pauvre de Londres le 16 avril 1889, soit quatre jours avant Hitler. Dans "Histoire de ma vie", son autobiographie publiée aux éditions Robert Laffont, il écrit : «À douze ans, je me plantais sur Kensington road devant Le Chope, afin de regarder ces beaux messieurs descendre de leurs voitures à chevaux pour entrer dans le bar où se retrouvait l’élite du music-hall, puisque c’était leur coutume, le dimanche, de prendre là un dernier verre avant de rentrer déjeuner. Comme ils étaient magnifiques, avec leurs costumes à carreaux et leurs melons gris, dans le scintillement de leurs bagues et de leurs épingles à cravate. À deux heures, le dimanche après-midi, le pub fermait et les clients sortaient en file indienne, s’attardant un moment avant de se dire adieu ; et j’observai, fasciné et amusé, car certains d’entre eux plastronnaient de façon ridicule.
Quand le dernier s’en était allé, c’était comme si le soleil avait disparu derrière un nuage. Je repartais alors vers une rangée de vieilles maisons délabrées derrière Kennington Road, jusqu’au 3 Pownall Terrace, et je gravissais l’escalier branlant qui menait à notre petite mansarde. (…) La pièce était minuscule, elle faisait un peu moins de trois mètres sur quatre, et elle paraissait plus petite, en même temps que le plafond incliné la faisait paraître plus basse. La table poussée contre le mur était encombrée de tasses et d’assiettes sales ; dans un coin, blotti contre le mur le plus bas, se trouvait un vieux lit de fer que ma mère avait peint en blanc. Entre le lit et la fenêtre, il y avait une petite cheminée, et au pied du lit un vieux fauteuil.
»

Ce regard d’enfant raconté comme un long plan séquence montre dans un raccourci limpide les futures composantes de l’univers de Charlot :
- La ville, son énergie et ses contrastes sociaux ;
- Son futur habillement inspiré des nantis ;
- Un mental baigné d’enfance dans un corps d’adulte qui refuse de grandir ;
- La dérision d’une situation (le ridicule des beaux messieurs), la poésie (le voile du ciel qui renvoie à une triste réalité) et l’art du détail (la description de la mansarde). Trois caractéristiques qui deviendront la marque de fabrique des mises en scène de Chaplin, chorégraphiées au millimètre.


Mais avant tout, cet extrait montre le leitmotiv, le ressort des comédies dont Charlot est le héros : la misère. Cet état d’extrême pauvreté qui condamne à la survie est la source du burlesque du personnage mythique imaginé par Charlie Chaplin.

À la sortie de The gold rush, le poète Elie Faure considéré comme le créateur des critiques d’art, écrit : « Un homme qui peut rire de lui délivre tous les hommes de leur vanité. Songez donc, il fait rire avec la faim, même avec sa faim.
The hunger
Dans un délire provoqué par la faim, Charlot fait bouillir sa chaussure et la mange. Il suce les clous comme les os d’une volaille succulente. Avale ses lacets comme des spaghettis. En regardant ce festin imaginaire, Jim, son compagnon d’infortune, hallucine. Il est soudain convaincu que Charlot est un poulet. Il saisit son fusil. Veut chasser la volaille à taille humaine pour mieux le dévorer !
En filigrane, le cannibalisme du fait divers demeure dans cette séquence où le burlesque de l’hallucination côtoie le tragique de la réalité. La faim - conséquence de la rudesse du système américain de l’époque que le film ne cesse de dénoncer - tenaille les entrailles des protagonistes. C’est la misère la plus crasse qui fait se transformer les deux chercheurs d’or en prédateur et en proie.
Dans les scènes hantées par le regard de Jim, Charlot passe de l’humain au poulet géant comme par magie. C’est un technicien qui endosse dans un premier temps le costume du gallinacé, mais l’évolution de son corps, le mouvement de ses gestes ne séduisent pas Chaplin à la vision des fondus enchaînés. Il décide alors de l’endosser lui-même. Amusez-vous à regarder cette séquence au ralenti. Elle prouve qu’à l’image, le corps a un langage que la raison cinématographique ne peut ignorer…

Le lifting d’une oeuvre
En 1942, Chaplin réédite la première version de son chef-d'œuvre. Il supprime les cent quarante et un cartons d'origine au profit d’une musique et d’un commentaire conté par lui-même. Force est de constater que l’absence des intertitres retire de l'émotion de The gold rush :
- Lors de l’apparition du personnage de Georgia trois intertitres viennent scander son nom, et donnent ainsi à sa présentation le rythme du cœur qui bat.
- Sur les cartons, une rose apparaît près du nom de Georgia. Elle perd ses pétales quand Charlot devenu millionnaire pense à son amour perdu.
- À partir d’Une vie de chien en 1918, Chaplin tourne avec deux caméras côte à côte pour obtenir le plus de précision et de fluidité possible au montage. En 1942, afin d’éviter les faux raccords entraînés par la suppression des cartons, le cinéaste abandonne le négatif de la première caméra (celle de gauche, dont les images apparaissent dans la version muette) mais garde la seconde, celle de droite. De nombreux plans de la version parlante diffèrent donc de ceux de l’original. Particulièrement dans la célèbre scène de la danse des petits pains : en 1925, Charlot fixe la caméra ; en 1942, son regard passe à gauche de l'objectif, ce qui atténue d’une façon sensible l'impact de la séquence.
- La fin du film subit également un changement. L'érotisme du baiser échangé par Chaplin et Georgia, sans vraiment braver le Code Hays qui ligature alors la liberté d'expression cinématographique, rappelle le Charlot libidineux dont Chaplin veut se débarrasser dans les années 1940.
Dans la version muette, ce baiser est beaucoup moins ambigu que l'intertitre auquel il est rattaché. Le photographe qui mate les amoureux au lieu de regarder son objectif s'exclame : «Oh, vous avez fait rater la photo ! ». Apparaît alors un carton avec un intertitre qui contient un double sens et qui signifie : « Oh, vous avez trahi le film !». Une façon pour le réalisateur de faire un pied de nez à la censure.

Dans les années 1940, Charlie Chaplin s’érige contre le fascisme et devient communiste. Ses opinions politiques lui valent une déferlante de critiques aux Etats-Unis. Peut-être a-t-il souhaité avec la nouvelle version de The Gold Rush atténuer les hostilités ? Peut-être n’a-t-il pas voulu faire croire que Charlot crachait dans la soupe du pays qui lui avait apporté la gloire mondiale ?
 
Benoît

 
 
 
 

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