|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street (Sweeney Todd: The Demon Barber of Fleet Street)
USA / 2007
23.01.2008
|
|
|
|
|
|
PSYCHOPATHE A TOURTE
“Je gage que je rase avec dix fois plus de dextérité que n’importe quel bonimenteur.”
Excellente nouvelle ! Burton a retrouvé sa créativité et, surtout, son audace. Avec Sweeney Todd, il renoue avec son goût pour le macabre impertinent et troque les sucreries consensuelles de Charlie et la chocolaterie contre des tourtes à la viande humaine. Un retour aux sources mais pas seulement. Sweeney Todd constitue aussi pour le tandem Burton-Depp l’occasion d’une nouvelle (recon)naissance. Ainsi, s’agit-il d’un pur Burton mais surtout d’un Burton surprenant. Du pur Burton parce que, réalisateur exceptionnel, Burton ne s’est pas contenté de transposer le thriller musical de Stephen Sondheim à l’écran. Il se l’est pleinement approprié pour le fondre dans son univers, au point que même si les parties chantées sont remarquablement mises en scène et interprétées, ce n’est pas ce que l’on retient du film. Surprenant parce qu’il adopte une tonalité et une saveur radicales, inhabituelles chez lui. Au menu, violence frontale et amer désespoir.
Burton signe ici son film le plus tourmenté et peut-être aussi le plus humain. Aussi chanté dans la forme qu’il est désenchanté sur le fond. Dès le générique d’ouverture, l’image est signée, inimitable. Comme toutes ses oeuvres, celle-ci est d’abord un choc visuel. Les premières scènes donnent immédiatement le ton général du film. Exit la féerie. Bonjour, tristesse. Les couleurs pastels et lumineuses chères au réalisateur sont bien présentes, mais réservées au temps révolu de l’innocence et au domaine onirique. Dans le temps de l’action, Burton fait évoluer ses personnages dans un Londres glauque à souhait, ultra stylisé, et basé sur les contrastes. Une esthétique décolorée, encore plus sombre que celle de Sleepy Hollow, dans laquelle ne survit que le rouge intense de l’hémoglobine.
C’est comme si Edward ne pouvait plus être sauvé. Benjamin Barker, alias Sweeney Todd, lui ressemble d’ailleurs beaucoup. Il en a la chevelure improbable (une mèche blanche à la Cruella d’Enfer en plus), le teint blafard d’outre-tombe et les mains d’argent, puisque ses lames de rasoir, ses “amies”, font partie de lui. “Enfin, mon bras est à nouveau complet”, s’écrie t-il lorsqu’il retrouve ses tranchants instruments. Mais à l’opposé d’Edward, sa perte d’innocence et sa plongée dans la violence n’auront d’autre limite que sa propre destruction.
Acteur burtonien par excellence, Depp qui s’était égaré chez les pirates du box office trouve ici un rôle à la mesure de son immense talent. D’ailleurs, à l’entendre chanter si bien, on se demande bien ce que cet acteur là ne sait pas faire. Voix grave et ultra sexy, regard inquiétant, il parvient à insuffler à ce tueur fou toute l’humanité nécessaire à une intensité émotionnelle permanente sans jamais lui faire perdre de sa noirceur. Et c’est bien là que réside la force du film, dans ce savant mélange d’horreur et d’émotion, relevé par des touches d’humour noir. Car Sweeney Todd est avant tout une tragédie humaine où les êtres sont tiraillés par leurs pulsions contradictoires, au centre desquelles règne l’amour. Mais l’amour ici ne sauve personne, au contraire… Burton délaisse les élans de naïveté habituellement caractéristiques de ses personnages. Il les relègue aux seuls seconds rôles du jeune marin et de Johanna, ainsi qu’au passé de Sweeney. Même si Burton filme plus l’ombre que la lumière, tous ses autres personnages s’affichent, comme l’image, en jeux de clair-obscur et portent en eux leur part de pathos. Nellie Lovett, amoureuse d’un homme qui ne la voit pas tant il est aveuglé par la haine ; l’odieux juge Turpin, incarné par le charismatique Alan Rickman, qui aime lui aussi sans être aimé en retour ; Johanna, victime de cet amour, transformée en oiseau piégé dans sa cage dorée ; et bien sûr, Sweeney. S’il est terrifiant, le barbier de Burton n’a rien de diabolique. Il est au contraire animé par une folie bien humaine : celle de la vengeance. Et n’en déplaise à l’adage, la vengeance est un plat qui se mange chaud, et en tourte, et dont le prix peut largement dépasser le bénéfice. L’émotion monte crescendo à mesure que le drame se précipite vers son issue fatale mais on sait gré à Burton de n’avoir pas fait de son film un hymne à la vengeance. Surtout, on lui est reconnaissant de nous offrir cette symphonie gothique et amorale, à la fois excessive et subtile, une oeuvre qui nous permet de le réaffirmer haut et fort : Tim Burton filme avec dix fois plus de dextérité que n’importe quel bonimenteur. Karine
|
|
|