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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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The Wrestler
USA / 2008
18.02.2009
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CATCH HIM (IF YOU CAN)
"L’endroit où j’en bave, c’est dehors. Là-bas, tout le monde s’en fout de moi. C’est ici ma place."
Darren Aronosky est un malin. Sous prétexte de dresser le portrait attachant et sincère d’un ancien champion sur le retour qui joue à pile ou face avec sa vie, il nous entraîne dans un milieu où, a priori, on n’avait pas spécialement envie d’aller : celui du catch professionnel. Et non seulement il parvient à nous y faire sentir à l’aise, mais en plus il nous le fait aimer. Cela tient pour beaucoup à son choix de mise en scène à la fois minimaliste et ultra-maîtrisé consistant à suivre les personnages quasiment caméra à l’épaule, donnant des vestiaires et des coulisses une vision rigoureusement réaliste. On assiste ainsi aux différents préparatifs auxquels s’astreignent les catcheurs (entraînement, mais aussi teinture ou UV) et aux échanges destinés à prévoir les chorégraphies et les temps forts de chaque face à face. Sous la caméra bienveillante d’Aronofsky, toutes ces étapes semblent autant de rituels immuables qui confèrent au catch un aspect presque sacré.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : le catch ne vole pas la vedette à Randy, le personnage central du film. Au contraire, il lui sert d’écrin précieux en forme de cocon protecteur. En effet, pour ce vieux catcheur meurtri, le "milieu" est ce qui reste de plus stable et de plus rassurant dans son existence. Un havre de tranquillité dans lequel il sait exactement ce que l’on attend de lui et comment (ré)agir. Le seul lieu, aussi, d’où il retire chaleur humaine, reconnaissance et solidarité. Car, hors du ring et des vestiaires, quand il ne s’agit plus de divertir mais de vivre, Randy est loin d’être un champion. Solitaire et indigent, il jongle avec les petits boulots humiliants que daigne lui confier un chef méprisant, et la seule personne à qui il puisse se confier, c’est Cassidy, une strip-teaseuse elle-aussi en bout de course. Pourtant, Randy ne se plaint pas : il sourit (de plus en plus tristement au fil de l’histoire) et encaisse. Après tout, encaisser, c’est ce qu’il fait de mieux. Alors il reste debout et attend que le match se termine, d’une manière ou d’une autre.
Et le spectateur, lui, reste suspendu à ses pas. Pas tant en raison du suspense distillé par l’intrigue (au contraire, les rebondissements sont plutôt convenus et la trame narrative ultra-classique, en trois actes comme les affectionne tant Aronofsky) que de l’incroyable performance de Mickey Rourke. Ce dernier, en état de grâce, insuffle à son personnage une profondeur et une justesse incomparables. Parce qu’il joue un rôle si proche de sa propre vie ? En tout cas, l’acteur parvient à faire passer les multiples émotions qui agitent son personnage en en faisant très peu, toujours comme s’il s’agissait d’un documentaire et qu’il ne jouait pas. Pour Aronofsky, qui le filme de dos, avançant résolument dans d’interminables couloirs menant à autant de rings, il devient un corps, une masse à la fois pesante et agile toujours consciente de l’espace qu’elle occupe. The wrestler est d’ailleurs pour une grande part un film sur le corps : musclé, bronzé, martyrisé, entrainé, sanguinolent, douloureux ou vainqueur, mais toujours en action, aux aguets, extrêmement réel. Pas comme ces enveloppes charnelles qui servent uniquement de véhicules à des esprits, mais bien comme une présence physique capable d’exprimer tout un panel d’émotions.
Le personnage de Randy est en effet tout sauf désincarné. Figure christique par excellence (mêmes cheveux, mêmes stigmates, même penchant pour le sacrifice), il fait don de son corps au public. Non pas pour son salut, mais pour son divertissement, qu’il semble placer encore plus haut. Emotionnellement, c’est très fort, et en même temps, cette analogie va presque trop loin, à la limite du grotesque ou du ridicule, si ce n’est de la facilité. C’est plus particulièrement flagrant à ce moment, mais tout le film est construit de cette manière, à cheval entre flamboyance et crétinerie. En effet, Aronofski est en permanence sur la corde raide, risquant à plusieurs reprises de tomber dans le pur mélodrame ou l’archi-rabâché. Heureusement, son grand talent, c’est de savoir s’arrêter une seconde avant que le film ne bascule. Du coup, il ne se refuse pas une certaine émotion (permettant au film de ne pas sembler trop froid ou indifférent et donnant de l’humanité au regard assez distant qui est porté sur le personnage) mais il ne l’impose pas au spectateur. Au fond, grâce à cette retenue incessante, Aronosky transcende son sujet et l’élève bien au-delà du portrait un peu anecdotique d’un catcheur sur le retour : leçon de vie, de cinéma, d’acteur, et au final, passionnante démonstration d’humanité.
MpM
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