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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Vinyan
France / 2008
01.10.2008
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CALVAIRE EN EAUX PLATES
"-Je suis sûre que c’est lui !
- Mais ça fait six mois qu’il a disparu, comment peux-tu en être sûre ?"
Au cinéma existent des films qui bousculent si violemment l’idée que l’on se fait d’un divertissement que l’on peine à s’en remettre. Et Calvaire fût l’un d’entre eux. Premier film réalisé avec un budget modeste et un casting de sales gueules incroyables dans le milieu campagnard, l’incursion dans le long métrage par le Belge Fabrice du Welz laissait présager les plus grands espoirs quant à son futur. Enfin un nouveau venu dans la case du cinéma épidermique, épuré du moindre sensationnalisme et horriblement réaliste. A croire que cette dernière caractéristique a été appliquée un peu trop au pied de la lettre.
S’appuyant sur le tsunami qui ravagea la Thaïlande en 2004, du Welz souhaite construire son film autour du traumatisme de la perte d’un enfant (thématique extrêmement violente en soi, qui se passe d’images), et, plus largement, du (non-) rapport que l’Occident entretient avec la mort. Le titre du film, Vinyan, qui signifie "âmes errantes", désigne alors aussi bien ceux à qui une mort trop violente a interdit de trouver la paix, que les survivants, entraînés loin du monde des vivants par leur douleur insurmontable et, paradoxalement, contre-nature. La fuite en avant du couple, de par son refus de l’évidence, est à ce titre une métaphore transparente. Ce ne sont plus les morts qui envahissent les vivants, pour les hanter ou leur demander justice, mais les vivants qui s’avèrent incapables de laisser leurs morts en paix.
Le réalisateur ajoute à cela la description d’un pays détruit tant par le séisme que par l’ambiance de déliquescence humaine avec ses corps enfantins monnayables à l’infini. Une fois le cadre (éprouvant) posé et quelques détours par des bouges sordides, il embarque son couple sur des rafiots les trimballant d’île en île à la recherche de l’enfant perdu. Deux des hommes que les personnages rencontrent essayent justement de leur vendre un enfant, n’importe lequel, en remplacement de celui qu’ils ont perdu. « Vous avez payé pour un enfant », dit-il, incrédule, au père qui refuse ce marché. « Pas un enfant, mon enfant », lui répond l’autre. Et notre homme de s’interroger, sincère : « quelle différence ? » Indécent, dérangeant, inacceptable… mais où est l’indécence quand il s’agit de rejeter les vivants au profit des morts ? Toutefois, ce qui aurait dû être une séquence-clef du film, se retrouve diluée, comme le reste des sous-entendus mystico-philosophique de l’intrigue, dans un amas d’effets stériles et profondément irritants où la référence aux croyances orientales fait presque office de caution morale.
Il n’est pas nécessaire d’avoir vu Calvaire ou d’être un aficionado des pellicules expérimentales pour se rendre compte de l’évidence : le réalisateur a eu les yeux plus gros que le ventre et s’égare dans ses fantasmes de réaliser Le grand film d’horreur dramatico-catastrophico-sauvage. Un peu comme si Cassavetes avait croisé Délivrance, tous les éléments étaient réunis pour faire de cette quête un voyage sans détour dans les tourments psychologiques du vivant. Las, l’hostilité tant attendue du film ne vient pas des paysages et de l’ambiance mais bien de la manière que le réalisateur a de faire tourner sa caméra dans le vide, au choix les plans larges des îles ou les très gros plans des deux acteurs (par ailleurs tous les deux très beaux, entre le ténébreux regard de Sewell et la plastique envoûtante de Béart). Il sombre dans un déluge d’images poseuses et prétentieuses, n’ayant d’autres intentions que de montrer que, oui, on peut faire des films d’horreur différents avec des sujets dramatiques et une caméra pseudo expérimentale… sans oublier une bande-son tapageuse qui nous vrille les tympans au lieu d’être à l’écoute des véritables sons de la peur et de l’horreur. Son maniérisme estudiantin s’accentue d’ailleurs lors de séquences dites « à effets » (panique, état éthylique), plombant par là même son désir d’ancrer le film dans le principe de réalité.
Malgré tout cela on ose encore espérer un sursaut d’angoisse sourde bousculant le spectateur afin de lui montrer l’envers du décor. Et la chute est d’autant plus rude lors du climax ridicule qui, excepté une Béart illuminée, nue et recouverte de boue, renvoie pour les connaisseurs au Z rigolo Anthropophagous. Mais dans le cas d’un film d’ "auteur" comme celui-ci, la faute de goût est impardonnable. A chaque pierre son calvaire, et à du Welz de traîner le sien.
Denis, MpM
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