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JE RENTRE À LA MAISON
"- Nous sommes ceux qui conduisons vos taxis, qui nettoyons vos chambres, qui sucent vos bites."
Stephen Frears fait partie de ces cinéastes que tout intéresse, dès lors que les relations humaines s’avèrent impossibles ou compliquées. Après ce postulat, son plaisir de cinéphile l’emporte, plaçant ainsi ses personnages dans le Grand Ouest, la France des Lumières, une Irlande prolétaire ou une Amérique médiatique, chez les punks ou dans le Londres victorien.
Il est devenu un des réalisateurs les plus attachants, puisque le cinéphile lui pardonne ses failles et voue un culte parfois démesuré à ses oeuvres les plus simples, mais pas les moins efficaces.
Car Dirty Pretty Things, comme auparavant The Van ou The Snapper, se base sur un scénario solide, intriguant, passionnant, même s’il est un peu prévisible vers le final. Frears profite de cette histoire sordide de trafic d’organes ("Son rein contre un passeport") pour nous parler de mondialisation, de précarité, de flux migratoires et de survie. Bien sûr, il y a un peu d’amour aussi. Mais il y a peu de place pour de tels sentiments quand on est traqué, hors-la-loi, en fuite.
La relation entre Tautou, toujours sur cette corde sensible proche du jeu de Binoche, et Ejiofor, épatant et généreux, ne décolle jamais vraiment du stade amical. Ce n’est déjà pas si mal, mais les sentiments perdent en force, au profit d’un très beau portrait d’immigrés, ces gens invisibles à nos yeux, tous interprétés par des seconds rôles savoureux. On reprochera peut-être la caricature forcée des inspecteurs de l’immigration (très patibulaires).
Dans cet hôtel, lieu de passage idéal, où tous sont étrangers, du réceptionniste aux clients, personne ne parle un anglais parfait. Les accents trahissent. Alors tous ces intégrés, exclus malgré eux, cherchent un moyen de sédentariser. À Londres ou ailleurs. Prêts à tout pour un bout de papier, même à perdre un organe, leur identité ou leurs principes. Plus rien n’a de valeur ou au contraire la valeur existe, elle est marchande. Avec subtilité, Frears évoque les enjeux, les raisons d’un tel reniement, de ces exils a priori stériles. Mixant thriller à la Cronenberg et chronique sociale, il dépeint une société déprimante, remplie par ses zones grises, où la mutilation et l’exportation des êtres humains sont devenues des données économiques. La vertu n’a plus sa place ici. Le sexe non plus d’ailleurs : prostituées, harcèlement sexuel, maladies sexuellement transmissibles, l’accouplement n’a rien de tentant. Il n’y a aucune échappatoire, aucune chambre pour le rêve. Tout vire à l’horreur.
Bien construit, le film fait doucement monter cette atrocité jusqu’à l’opération chirurgicale très précise. Un peu plus certains n’auront vu que le cauchemar et les hallucinations d’un homme insomniaque, en transit, entre deux aéroports, entre deux parenthèses. vincy
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