Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Micmacs à tire-larigot


France / 2009

28.10.2009
 



AUX ARMES CITOYENS

Le livre Bye Bye Bahia



"- C’est de la récup’"

Oui, c’est de la récup’, et alors ? Avec ce film à mi-chemin entre Amélie Poulain et Delicatessen, Jean-Pierre Jeunet recycle ce pour quoi il est le plus doué : des histoires poétiques et burlesques, des personnages hauts en couleurs, une inventivité et une fantaisie débridées. Et parce que tel est le principe du recyclage, il y adjoint des références cinématographiques populaires qui vont de la figure traditionnelle du Super héros (style Les 4 fantastiques, chacun avec son "super-pouvoir") aux plans compliqués à la Mission impossible, le tout enrobé dans une bonne dose d’utopie et de bonne humeur. Car là est peut-être le renouveau dans la filmographie du réalisateur : derrière son histoire humaniste et cocasse se cache une satire bien sentie de certains travers de notre société.

"T'as voulu te recoiffer avec un ouvre-boîte"

En effet, Micmacs à tire-larigot, c’est une sorte de David et Goliath moderne, où une troupe de marginaux laissés-pour-compte se révolte contre le cynisme et la bêtise de leur époque en prenant pour cible l’industrie ô combien représentative des fabricants d’armes. Bien sûr, ce n’est pas un gros risque de la part de Jeunet, qui reste dans le registre du conte de fée naïf. Mais cela ancre son film dans une réalité que, par le passé, il a eu tendance à perdre de vue. Or, la notion de revanche sociale permet à l’intrigue de gagner en profondeur et au récit de se doter d’un enjeu plus solide, donc de n’en être que plus captivant.

"Si tu pouvais faire un peu plus sobre"

D’autant que le réalisateur met tout son savoir-faire habituel au service de ce règlement de compte social. Esthétiquement, le film est une parfaite réussite, avec ses tons chauds et mordorés, ses décors stupéfiants et son sens du détail. Le Paris de Bazil est plus populaire et ferrailleur que celui d'Amélie. Nous circulons entre Seine-Saint-Denis, Crimée, Gare de l'Est... Les mécanismes minutieux et les automates fabuleux inventés par Petit Pierre à partir de matériaux de récupération peuplent cet imaginaire qui évoque Tintin et Rouletabille version Podalydès. Il y a ce mix entre un Paris popu nostalgique (les cabines téléphoniques ont encore leur intérêt) et celui de Delanoë.
L’ensemble fourmille d’effets visuels qui lui donnent un style atemporel et créent une ambiance feutrée, légère, bon enfant. Parce que tout cela reste du divertissement, certes intelligent (ce sont les meilleurs), mais avant tout destiné à faire rêver et sourire. Ce qui fonctionne presque à chaque scène. Presque seulement, car les relations faussement houleuses entre Bazil et la Môme caoutchouc ralentissent le rythme et diluent inutilement l’intrigue. Qu’importe, avec trois idées loufoques (avec du cocasse noir et de l'humour Nul) par minute (comme cette collection d’organes célèbres qui s’enorgueillit de l’œil de Mussolini, ou les rouages complexes et tirés par les cheveux des plans échafaudés par Bazil), Micmacs ne laisse pas au spectateur le temps de philosopher sur l’inanité de cette histoire d’amour artificielle.

"Mais quelle pétaudière!"

La petite troupe réunie autour de Bazil, survivants cabossés dans un monde souterrain, est en revanche plus attachante. La force du solidaire. Là où Amélie était individuelle, Bazil joue collectif. Cette famille reconstituée de bric et de broc a beau ne compter que des êtres fracassés par la vie, elle dégage plus de chaleur humaine, de solidarité et de talents qu’il n’en faut pour venir à bout de deux marchands d’armes multimillionnaires. Il faut dire qu’ils sont tous formidables, de Dany Boon en pierrot lunaire mais décidé à Jean-Pierre Marielle en rescapé joyeux, Yolande Moreau en figure maternelle bourrue ou encore Omar Sy en obsédé des dictons (ça change des proverbes). On croit à leurs fêlures, à leurs outrances et à leurs zones d’ombre. Ils sont les résistants rêvés dans un monde où l’argent fait le bonheur et la normalité est érigée en valeur. En face, les deux "méchants" (André Dussollier, jouissif collectionneur d'objets absurdes, et Nicolas Marié, perfectionniste sans chaleur) sont parfaits eux-aussi, totalement déjantés, si mesquins et cyniques qu’on prend un plaisir jouissif à les détester.

Alors, oui, on peut être tenté de sourire devant tant de bons sentiments (au sens noble du terme), de traiter Jeunet d’incorrigible naïf, voire de se laisser aller à quelque bon mot caustique. Après tout, les petits qui terrassent les gros, c’est bien gentil au cinéma, mais dans la vraie vie, ça n’arrive jamais. Et tant mieux, ajouteront certains. Mais on peut aussi choisir son camp : railler cette apologie de l’action collective, du recyclage et donc de la décroissance humaniste, c’est une manière symbolique de conforter les marchands d’armes de tout poil dans leur course effrénée à l’auto-destruction. Se réjouir devant cet objet cinématographique qui privilégie le plaisir de spectateur, c’est au contraire se ranger du côté des rêveurs, des chiffonniers et des saltimbanques.
 
MpM

 
 
 
 

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